mardi 10 août 2010

Running out of Flesh


(publié le 15 août 2010 sur cinethinktank.com)

« Je voulais pourtant que tout soit parfait. »

Je ne garantis pas le verbatim de cette phrase tirée de la VF de Grimm Love (Rohtenburg en allemand ; Confessions d'un cannibale en français), mais c'est ainsi que je veux m'en souvenir. Ce passage très court, où le personnage fraîchement émasculé regrette la mauvaise cuisson de son pénis, me revient régulièrement à l'esprit depuis bientôt une semaine.

Certes, le film de Martin Weisz déçoit par sa structure abâtardie. Ses créateurs donnent l'impression de n'avoir pas eu le courage d'en faire un moyen métrage franc, direct et refermé sur les personnages de l'ogre et de sa victime consentante. Encore une fois, la tyrannie des « 90 minutes en moyenne », qui permet de justifier une sortie en salles et des prix de billets exorbitants, aura ruiné une belle idée et l'aura transformée en spectacle (presque) grand public.

Il faut donc attendre la fin pour que le film arrête d'hésiter entre plusieurs sujets et décide de remiser, pendant un (trop) court moment, ses atours putassiers de mauvais téléfilm à sensation pour enfin se concentrer sur l'essentiel : la rencontre de deux êtres décidés à aller jusqu'au bout de leurs fantasmes de dévoration. Rien de novateur ou d'exceptionnel dans la représentation du cannibalisme, mais, photographiés dans une ambiance contrapuntique à la David Hamilton, les deux acteurs arrivent à donner chair à ce qui avait toutes les chances de pulvériser les limites du ridicule. Corsetés dans une interprétation minimaliste, leur retenue koulechovienne permet une identification fugace mais intense, qui met le cerveau en ébullition. A ce moment-là, ces deux êtres m'apparurent presque admirables dans leur détermination à accomplir ce « happening » ultime.

Heureusement pour le spectateur, et comme c'est généralement le cas dans les histoires d'amour, celle-ci va finir mal avant même d'avoir commencé. L'ogre est loin d'être un mauvais bougre, mais, comme tout homme politique ou VRP pressé d'emballer le chaland, il n'hésite pas à faire des promesses qu'il n'est pas sûr de pouvoir tenir. Et comme toujours, c'est l'électeur, le prospect, l'amant ou, en l'occurrence, le dévoré qui seront victimes d'y avoir cru. Tout l'intérêt du film, à mon avis, réside dans ces quelques minutes où rien ne se passe comme la « victime » en avait rêvé toute sa vie. Quand le cannibale se retrouve incapable d'arracher le sexe de son complice avec les dents, comme il le lui avait promis, et a recours à la lame, je n'ai pu m'empêcher d'être ému et de voir, dans toute la séquence qui suit, une métaphore parfaite des relations amoureuses et des rapports toujours déçus entre les bonimenteurs et leurs victimes.

A l'heure où certains commencent déjà à préparer leurs banderoles pour les manifestations de la rentrée, je ne saurais trop leur conseiller de jeter un œil sur Grimm Love (joli titre, quand même). « Casse-toi, pauv' con !» étant maintenant ringard, je propose de le remplacer par la phrase en exergue de ce papier. Précédée d'une question : « Les dents ou le couteau ? »