vendredi 3 septembre 2010

Family Jewels


(publié le 8 septembre 2010 sur cinethinktank.com)

Pour le prix d'un pavé de Vollmann sur la Marketplace d'Amazon, j'ai été autorisé à voir, dans un multiplexe de ma ville, la dernière infamie des frères Weinstein. Il faut préciser que j'aime me rendre dans ces salles pour le contact que je peux y avoir avec le post-humain. Le public qui les fréquente est constitué de gens qui sont, au moins sur le plan physiologique, des êtres exceptionnels : capables de garder leurs conduits auditifs dégagés, tout en ingurgitant frites, maïs soufflé, friandises et boisson gazeuse pendant plus de 90 minutes. C'est en compagnie de ces cinéphiles hardcore amoureux de bonne chère, que j'ai pu vérifier (probablement pour la dernière fois) qu'Alexandre Aja était toujours incapable de pondre un bon film US. Certes, Haute Tension, avec sa photo pubarde et son twist final digne du génie lucbessonien, ne constituait pas vraiment une date dans l'histoire du film gore. On y sentait toutefois une volonté honnête de premier degré rentre-dedans assez réjouissante et qui, à l'époque, paraissait prometteuse.

Il paraît qu'Alexandre est le fils d'Alexandre. Je déteste autant les infos « people » en matière de cinéma que je vomis toutes celles relatives aux budgets des films ou à leurs recettes. Celle-ci (vraie ou pas), je l'ai retenue car j'étais un grand fan du Coup de Sirocco dans ma jeunesse. Le fils souffrirait-il donc d'une malédiction familiale ? Je n'ai plus une connaissance précise de la filmographie d'Arcady. J'ai cependant le vague souvenir que le père a commencé à décliner, quand il s'est mis en tête, avec Le Grand Pardon, d'imiter un certain cinéma US qui ne lui en demandait pas tant. Difficile toutefois de considérer que les ravages français causés par cette maladie se limitent à cette seule famille. Passons.

Piranha est donc une nouvelle version d'une franchise à laquelle s'étaient déjà frottés Dante et Cameron. Je n'ai jamais eu l'occasion de voir les deux précédents et Aja a au moins réussi à m'en faire passer l'envie pour un bon moment. Je suis, en général, client des films dont l'intrigue tient sur une ligne et dont le but est de repousser les frontières du déjà-montré ; d'expérimenter sans en avoir l'air. Cette référence commence à vieillir, mais John Rambo était une date. Pour des raisons de censure et donc de gros sous, rares sont les films qui se permettent, avec des budgets confortables, de viser un public adulte et averti. Stallone, qui n'a apparemment pas eu le courage de remettre ça, vient à nouveau de le prouver avec son Expendables.

Je dois aussi confesser une faible tolérance aux degrés autres que le premier. J'apprécie très peu (ou très rarement) que le metteur en scène fasse son malin en prenant ses distances avec ses personnages, voire avec le genre. Scream représente, dans ce domaine, un parangon d'ignominie. Malgré tout le mal que je pense de son remake de Hills Have Eyes, Aja y gardait au moins encore un peu de volonté de traiter son sujet de manière frontale. En allant voir Piranha, j'espérais donc assister à des scènes de carnage aussi violentes que possibles, filmées avec imagination et précision.

Je n'ai (malheureusement) rien vu au Lake Victoria. Pas seulement à cause de la photo dégueulasse gangrénée par une 3D lépreuse aux effets inexistants. Il est d'ailleurs temps de cantonner ce procédé aux seules publicités Haribo ou Oasis. Les plans (souvent très sombres) où les piranhas (peu crédibles) se ruent en masse sur une proie sont à peu près aussi illisibles que les plans de combats dans Gladiator. Je n'ai pas non plus le souvenir d'avoir eu un semblant d'emballement cardiaque ou d'avoir brièvement joui sur une idée de scénario ou sur un plan novateur. Seule, à un moment donné, l'idée de transformer un ado sur son bateau en péril plus grand que celui représenté par les poiscailles numériques ne m'a pas déplu. Mais Aja est surtout coupable, à mes yeux, d'avoir succombé à la facilité de faire une parodie aussi nulle que les films auxquels elle se réfère. Certains personnages, et particulièrement le personnage du producteur et celui interprété par Lloyd, sont si crassement caricaturaux qu'on en vient à se demander si le film n'est pas plus un hommage à l'oeuvre de Pécas qu'une satire des teenage flicks américains. Sans un minimum de rondeur donnée aux personnages, comment le public peut-il s'identifier, frissonner ?

Mais peut-être que ce n'est pas ce que cherchaient à atteindre Aja et Levasseur. Pourtant, dans leur entreprise de vulgarité abyssale et de paillardise triste - à l'image de ces tue-l'érection que sont les vidéos pornos d'étudiants américains en goguette - ils n'arrivent pas non plus à rendre leur « biter » excitant, poilant ou subversif. La scène de saphisme aquatique (le monde de Piranha est essentiellement féminin et le peu de présence phallique voit son compte réglé par les prédateurs vedettes) est d'une laideur et d'un ridicule effroyables. Et c'est finalement dans le choix de l'accompagnement musical de cette scène qu'Aja commet son plus gros méfait. Mêler à sa bouillasse le sublime Duo des fleurs de Delibes, mille fois gangbangé et maltraité par les tâcherons du 7e Art, est non seulement la marque d'un cruel manque d'originalité, mais également celle d'une décomplexion totale. Celle-là même que j'aurais préféré trouver dans le traitement des scènes de cul ou de massacre.

A moins que cet emprunt musical ne soit en fait un clin d'oeil à la notion de famille au cinéma. Les frères Scott, qui ont abusé de Lakmé et Mallika, sauront, eux, apprécier.