mercredi 24 novembre 2010

D'où parles-tu, camarade ?




« Qui es-tu pour critiquer le travail des autres ? Qu'as-tu fait dans ta vie, toi ? »

Il y a peu, à chaque riposte d'un membre de la confrérie planétaire des porteurs d'encensoir, je répondais encore : «  Rien, justement. J'ai fait voeu d'abstinence jusqu'à présent, pour avoir la liberté de m'exprimer, entre autres, sur les productions de ceux qui n'ont pas eu cette décence et avec lesquelles je n'entretiens aucun rapport. »

C'est en lisant un papier de Yann Moix contre (le dernier) Virginie Despentes dans Transfuge du mois d'octobre que j'ai compris qu'il était décidément inutile de se justifier, tant les limites de la décence et de la probité ont été pulverisées par nombre de figures médiatiques de ce beau pays. Imaginez, le réalisateur de Podium et Cinéman – salarié de l'organe officiel de l'UMP, invité sur la plupart des plateaux télé dès qu'il pond trois feuillets et, à l'occasion, garçon d'ascenseur spécialisé dans le renvoi aux amis ; surtout quand ceux-ci sont des cinéastes de génie comme BHL – reprocher à Despentes d'oublier ce qui selon lui est primordial chez les écrivains : le monde. Diantre ! On sait déjà que le prochain Moix sera dans la veine des séries de David Simon. Soyons honnête, l'argument est recevable, ainsi qu'une ou deux autres attaques noyées dans ce petit filet de fiel. Où est le problème alors ? Peut-être, encore une fois, que certaines vérités dans la bouche de certaines personnes n'en sont plus. Une variation sur le thème du « On peut rire de tout, mais... »

Tout comme peu de gens semblent trouver normal de demander aux journalistes politiques de ne plus avoir de relations extra-professionnelles avec le personnel politique qu'ils sont censés observer en toute impartialité (voire sur lequel il pourrait leur arriver d'enquêter), il n'est de toute façon généralement pas bien vu de reprocher à certains pigistes cumulards d'assurer, sous l'apparence de la critique, la promotion des films réalisés, produits ou distribués par leurs amis ou anciens confrères. Ca y est, j'entends déjà le grand Turi Ferrer m 'objecter : « Ils ne vont quand même pas s'interdire de faire une critique positive sous prétexte qu'ils connaissent ou sont amis avec le réalisateur ? » Est-ce vraiment si difficile à envisager ?

Quant à l'argument brillant qui consiste à disqualifier les propos du critique en défiant ce dernier d'en faire (au moins) autant en passant derrière la caméra, il me rappelle celui des patrons de PME qui conseillent à leurs salariés mécontents de monter leur propre boîte si quelque chose les dérange. Pourtant, à l'épreuve du réel, cet argument est des plus dangereux. Que dire à Gans, Boukhrief ou dernièrement Yannick Dahan, qui ont choisi de passer derrière la caméra pour pondre des films mortellement daubés et dépourvus de tout l'intérêt que leur culture cinéphilique immense aurait pu leur conférer ? On ne peut décemment pas inverser l'argument et s'en servir à leurs dépens dès qu'ils décideront de réintégrer la place du commentateur.

En revanche, on pourrait tout simplement demander à certains de serrer les dents et de s'abstenir de geindre bruyamment dès qu'ils font personnellement les frais de la critique. Les mêmes qui oublient, sitôt qu'ils passent à la réalisation, qu'ils ont été eux-mêmes féroces quand cela leur semblait nécessaire et sans demander l'autorisation à qui que ce soit. Les mêmes qui réclament l'indulgence du "jury" car leur budget était sans commune mesure avec les budgets hollywoodiens ou qui implorent, comme des petits écoliers, que l'on prenne en compte l'intention ou l'effort au lieu de ne juger que le résultat final.

Récemment, un ami facebook me faisait part d'une anecdote sur la terriblement douée Pauline Kael. Comme d'habitude, je n'ai pas pris la peine de vérifier. De toute façon, réelle ou inventée, elle me paraît idéale pour clore ce papier et lui donner un vernis « cautionary tale ». Je précise cependant, au risque de vous embrouiller et de ruiner ma chute, que, dans le cas de Kael, je serais prêt à faire une exception et à mourir corrompu jusqu'à la moelle et banni, si j'avais pu auparavant jouir d'une once de son talent. Cet ami m'écrivait donc : « ...elle a été d'une grande importance pour le nouvel Hollywood en sauvant Bonnie and Clyde, à l'initiative de Warren Beatty, qui se la mit dans la poche par la suite en lui proposant un poste de productrice sur des films de Paul Schrader et de James Toback qu'il ne fit jamais. Ce fut la fin de sa carrière. »

Comme disait ma grand-mère : « Y a vraiment qu'en Amérique qu'on voit des choses pareilles. »

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