mardi 29 mars 2011

2010: Eyes Less Shut


(Publié fin mars 2011 sur Cinéthinktank avec le texte d'intro suivant : " A l'heure où une armée de thuriféraires fouille les archives du maître pour lui rendre hommage, cette feignasse de Christophe Diaz a décidé de se joindre au cœur des laudateurs en exhumant un texte vieux d'au moins... un an.")

Quand on est adolescent au début des années 80 dans une France post-giscardienne, le cinéma se fantasme parfois plus qu'il ne se vit. Je n'ai jamais autant idolâtré Kubrick qu'en dévorant l'iconographie du livre de Michel Ciment et avant d'avoir vu la plupart de ses films. J'avais été exposé, très jeune, à Shining et avais entendu dire que Kubrick était le plus grand cinéaste du monde. J'étais trop jeune pour relever l'ineptie d'un classement mondial des cinéastes, mais j'avais quand même supputé que l'homme au nom de cube n'avait sûrement pas décroché cette médaille grâce à cette chose grotesque dans laquelle Nicholson baissait la tête et fronçait les sourcils pour jouer le gars perturbé psychologiquement. Posture ridicule et outrée dont le Stan avait déjà usé avec McDowell et qu'il n'hésitera pas à recycler avec D'Onofrio dans son film sur les films sur le Vietnam.

Encore vierge donc et m'enivrant des photogrammes et des photos de tournage du livre de Ciment, je pouvais imaginer les merveilles que devaient être 2001, Les Sentiers de la gloire, Barry Lyndon et me dire que je ne serais plus le même homme une fois que mes rétines auraient été impressionnées par ces créations quasi divines. Un âge de l'innocence où je n'avais pas encore enduré le kitsch de Orange mécanique et ce taedium filmae qu'est Lolita. Le dépucelage prit quelques années et il y eut aussi des moments d'extase : dans les tranchées, dans l'espace et dans l'Irlande de Thackeray.

Il y a quelques jours, je tombe par hasard sur le Stanley Kubrick d'un certain John Baxter et, contre toute attente, le même ensorcellement (sans photos cette fois) se produit. Les anecdotes sur la vie et la personnalité du New-Yorkais constitueraient-elles un mythe dépassant son oeuvre ? En tout cas, je ne suis plus dans la France de Mitterand et je peux maintenant, quand le doute me saisit, filer vers ma vidéothèque et vérifier que Dr. Strangelove, par exemple, malgré ses anecdotes de tournage, ses décors et son noir et blanc impeccable, est toujours d'un humour aussi consternant.

Un gros regret cependant m'étreint : le King of Control n'a pas vécu assez longtemps pour empêcher le désastre qu'est la mastérisation DVD de Barry Lyndon et de ses derniers films. Les scènes à la chandelle sont pour l'instant condamnées à n'être jamais aussi belles qu'en photos, figées dans le Ciment. Du coup, je pourrai continuer à feuilleter le livre en me passant les musiques du film en fond sonore. Il faut reconnaître que, à partir de son Odyssée de l'espace, Kubrick devient un master DJ, un as de la compile. Terrence Malick, peu inspiré avec sa Pocahontas, a d'ailleurs cru qu'il suffisait de convoquer Wagner et Mozart pour s'élever au niveau du maître. Dans Full Metal Jacket, Kubrick poussera le bouchon du recyclage assez loin avec un emprunt quasi littéral au Schoendoerffer de la Section Anderson dans son utilisation du These Boots de Nancy Sinatra. Mais Barry Lyndon, qui est un film beaucoup moins fermé, formel et formol que les trois suivants, occupe toujours la première place dans ma playlist.

Je tourne encore une fois les feuilles du Ciment : The Killing, Spartacus, Lolita, Barry Lyndon, The Shining... Kubrick ne s'est jamais vraiment torturé pour trouver les titres de ses films et a presque toujours opté pour la concision, la simplicité ou le nom du personnage principal. Ses titres les plus originaux et mémorables, il les a empruntés à Burgess et Stephen King. Jusqu'à ses deux derniers films, où il décide finalement de passer des titres à 1 ou 2 mots à des titres énigmatiques et quasiment acronymiques : Full Metal Jacket et Eyes Wide Shut. L'ermite ferme ainsi la boucle, entamée en 1968, d'un cinéma de l'esprit plus que de la chair, avec deux titres qui renvoient immanquablement à HAL (lui-même forgé à partir de l'acronyme IBM) et à la post-humanité à laquelle ce dernier essayait d'accéder par le meurtre.

mercredi 1 décembre 2010

Grinderman



Depuis qu'il est devenu célèbre pour de mauvaises raisons (budgétaires) avec son Mariachi, Robert Rodriguez a réalisé deux films agréables (Une Nuit en enfer ; Sin City) et une pochade marrante, mais trop longue d'au moins une heure (Planet Terror). C'est le problème, à mon avis, avec Rodriguez : il n'a jamais réussi à écrire un bon scénario et même ses meilleurs films sont ou trop longs ou bancals. Une Nuit en enfer, par exemple, était composé de deux moyens métrages : un road movie sur deux frères psychopathes en cavale soudé à un roadhouse movie sur les mêmes frangins et leurs otages piégés par une bande de go-go danseuses. Sin City, lui non plus, malgré l'avantage de sa structure en sketchs, n'évitait pas l'écueil du long-métrage mal rythmé. De toute façon, depuis sa sortie et ses multiples remontages, il semble voué à finir « façon puzzle » aux quatre coins de la galaxie Youtube.

Machete me donne d'ailleurs l'impression d'être originaire de cette galaxie blobulaire en perpétuelle expansion. Tout d'abord, son embryon (la fausse [vraie] bande-annonce) y est conservé depuis le dépeçage du projet Grindhouse par les boucheries Weinstein ; dans lesquelles avait déjà été débité Kill Bill. Puis il y a la voie prise par Rodriguez : un esprit de déconnade ultraréférentielle n'hésitant pas à recourir à de mauvais effets spéciaux Photoshop (pour donner l'illusion de la pellicule abîmée, par exemple). Avec le Texan, on est parfois dangereusement proche du niveau des parodies déversées tous les jours sur le web par des armées de vidéastes amateurs.

A une époque (celle que prédisait Coppola à la fin de Hearts of Darkness) où des films intégralement shootés avec un appareil photo (La Casa muda ; Rubber...) essayent de faire oublier leurs budgets et leur origine pour se hisser au même niveau de professionnalisme que le reste des productions millionnaires, Robert Rodriguez use de moyens démesurés pour imiter les « exploitation movies » et enlaidir chacun de ses plans. Sur le principe, cela n'est guère critiquable. Ce qui l'est un peu plus, c'est que, d'un point de vue artistique, Machete est grosso modo un bégaiement de Planet Terror. Certes, le genre imité n'est pas le même, mais cette deuxième tentative n'arrive toujours pas à décoller et à transcender l'exercice parodique. Avec un tel casting et de tels moyens à sa disposition, il ne me semble pourtant pas déplacé d'attendre de Rodriguez qu'il fasse montre de virtuosité et crée, sur cet écrin de laideur, des images et des situations mémorables, originales, belles éventuellement. Sous les faux-raccords, les mauvais cadrages et la photo pauvre, rien de mémorable malheureusement n'affleure. Pas même dans les scènes d'action. Pas même dans son duel final ! J'entends déjà Turi Ferrer me hurler à l'oreille que cela est bien la marque d'une cohérence artistique : « Rodriguez ne se met jamais en valeur en se hissant, comme son talent le lui permettrait, au-dessus de ses modèles ! »

En revanche, je dois bien reconnaître que, grâce à la charge de son sous-texte politique et malgré sa durée excessive, Machete se laisse plus facilement regarder que Planet Terror. J'attends avec impatience, dans le jeu infini du serpent qui se la mord, la parodie française sur Youtube : Django ! De la citation indirecte à Escape from New York (avec son mur de la honte) à celle plus évidente à They Live, Rodriguez exploite son sous-genre pour véhiculer un message assez clair et radical : les Mexicains sont considérés par les autorités américaines comme un fléau et une menace dont il faut se protéger. Dans ces rares scènes-là, on se prend à jubiler devant un synchronisme aussi miraculeux avec l'agenda politique français de l'été.

Pour autant, passées les premières minutes, ce qui me déçoit le plus avec ce film, comme avec le Piranha d'Aja, c'est la retenue de Rodriguez, que ce soit dans la représentation de la violence ou dans celle de la sexualité. Comme c'est également souvent le cas chez Carpenter d'ailleurs, le spectateur est attiré par un concept ou une idée de départ intéressants, mais des considérations extra-artistiques et la pauvreté de l'écriture le laissent rapidement la queue entre les jambes, frustré, obligé de se finir tout seul et, si ses capacités le lui permettent, de projeter sur le film ce qu'il aurait aimé y trouver.

mercredi 24 novembre 2010

D'où parles-tu, camarade ?




« Qui es-tu pour critiquer le travail des autres ? Qu'as-tu fait dans ta vie, toi ? »

Il y a peu, à chaque riposte d'un membre de la confrérie planétaire des porteurs d'encensoir, je répondais encore : «  Rien, justement. J'ai fait voeu d'abstinence jusqu'à présent, pour avoir la liberté de m'exprimer, entre autres, sur les productions de ceux qui n'ont pas eu cette décence et avec lesquelles je n'entretiens aucun rapport. »

C'est en lisant un papier de Yann Moix contre (le dernier) Virginie Despentes dans Transfuge du mois d'octobre que j'ai compris qu'il était décidément inutile de se justifier, tant les limites de la décence et de la probité ont été pulverisées par nombre de figures médiatiques de ce beau pays. Imaginez, le réalisateur de Podium et Cinéman – salarié de l'organe officiel de l'UMP, invité sur la plupart des plateaux télé dès qu'il pond trois feuillets et, à l'occasion, garçon d'ascenseur spécialisé dans le renvoi aux amis ; surtout quand ceux-ci sont des cinéastes de génie comme BHL – reprocher à Despentes d'oublier ce qui selon lui est primordial chez les écrivains : le monde. Diantre ! On sait déjà que le prochain Moix sera dans la veine des séries de David Simon. Soyons honnête, l'argument est recevable, ainsi qu'une ou deux autres attaques noyées dans ce petit filet de fiel. Où est le problème alors ? Peut-être, encore une fois, que certaines vérités dans la bouche de certaines personnes n'en sont plus. Une variation sur le thème du « On peut rire de tout, mais... »

Tout comme peu de gens semblent trouver normal de demander aux journalistes politiques de ne plus avoir de relations extra-professionnelles avec le personnel politique qu'ils sont censés observer en toute impartialité (voire sur lequel il pourrait leur arriver d'enquêter), il n'est de toute façon généralement pas bien vu de reprocher à certains pigistes cumulards d'assurer, sous l'apparence de la critique, la promotion des films réalisés, produits ou distribués par leurs amis ou anciens confrères. Ca y est, j'entends déjà le grand Turi Ferrer m 'objecter : « Ils ne vont quand même pas s'interdire de faire une critique positive sous prétexte qu'ils connaissent ou sont amis avec le réalisateur ? » Est-ce vraiment si difficile à envisager ?

Quant à l'argument brillant qui consiste à disqualifier les propos du critique en défiant ce dernier d'en faire (au moins) autant en passant derrière la caméra, il me rappelle celui des patrons de PME qui conseillent à leurs salariés mécontents de monter leur propre boîte si quelque chose les dérange. Pourtant, à l'épreuve du réel, cet argument est des plus dangereux. Que dire à Gans, Boukhrief ou dernièrement Yannick Dahan, qui ont choisi de passer derrière la caméra pour pondre des films mortellement daubés et dépourvus de tout l'intérêt que leur culture cinéphilique immense aurait pu leur conférer ? On ne peut décemment pas inverser l'argument et s'en servir à leurs dépens dès qu'ils décideront de réintégrer la place du commentateur.

En revanche, on pourrait tout simplement demander à certains de serrer les dents et de s'abstenir de geindre bruyamment dès qu'ils font personnellement les frais de la critique. Les mêmes qui oublient, sitôt qu'ils passent à la réalisation, qu'ils ont été eux-mêmes féroces quand cela leur semblait nécessaire et sans demander l'autorisation à qui que ce soit. Les mêmes qui réclament l'indulgence du "jury" car leur budget était sans commune mesure avec les budgets hollywoodiens ou qui implorent, comme des petits écoliers, que l'on prenne en compte l'intention ou l'effort au lieu de ne juger que le résultat final.

Récemment, un ami facebook me faisait part d'une anecdote sur la terriblement douée Pauline Kael. Comme d'habitude, je n'ai pas pris la peine de vérifier. De toute façon, réelle ou inventée, elle me paraît idéale pour clore ce papier et lui donner un vernis « cautionary tale ». Je précise cependant, au risque de vous embrouiller et de ruiner ma chute, que, dans le cas de Kael, je serais prêt à faire une exception et à mourir corrompu jusqu'à la moelle et banni, si j'avais pu auparavant jouir d'une once de son talent. Cet ami m'écrivait donc : « ...elle a été d'une grande importance pour le nouvel Hollywood en sauvant Bonnie and Clyde, à l'initiative de Warren Beatty, qui se la mit dans la poche par la suite en lui proposant un poste de productrice sur des films de Paul Schrader et de James Toback qu'il ne fit jamais. Ce fut la fin de sa carrière. »

Comme disait ma grand-mère : « Y a vraiment qu'en Amérique qu'on voit des choses pareilles. »

vendredi 3 septembre 2010

Family Jewels


(publié le 8 septembre 2010 sur cinethinktank.com)

Pour le prix d'un pavé de Vollmann sur la Marketplace d'Amazon, j'ai été autorisé à voir, dans un multiplexe de ma ville, la dernière infamie des frères Weinstein. Il faut préciser que j'aime me rendre dans ces salles pour le contact que je peux y avoir avec le post-humain. Le public qui les fréquente est constitué de gens qui sont, au moins sur le plan physiologique, des êtres exceptionnels : capables de garder leurs conduits auditifs dégagés, tout en ingurgitant frites, maïs soufflé, friandises et boisson gazeuse pendant plus de 90 minutes. C'est en compagnie de ces cinéphiles hardcore amoureux de bonne chère, que j'ai pu vérifier (probablement pour la dernière fois) qu'Alexandre Aja était toujours incapable de pondre un bon film US. Certes, Haute Tension, avec sa photo pubarde et son twist final digne du génie lucbessonien, ne constituait pas vraiment une date dans l'histoire du film gore. On y sentait toutefois une volonté honnête de premier degré rentre-dedans assez réjouissante et qui, à l'époque, paraissait prometteuse.

Il paraît qu'Alexandre est le fils d'Alexandre. Je déteste autant les infos « people » en matière de cinéma que je vomis toutes celles relatives aux budgets des films ou à leurs recettes. Celle-ci (vraie ou pas), je l'ai retenue car j'étais un grand fan du Coup de Sirocco dans ma jeunesse. Le fils souffrirait-il donc d'une malédiction familiale ? Je n'ai plus une connaissance précise de la filmographie d'Arcady. J'ai cependant le vague souvenir que le père a commencé à décliner, quand il s'est mis en tête, avec Le Grand Pardon, d'imiter un certain cinéma US qui ne lui en demandait pas tant. Difficile toutefois de considérer que les ravages français causés par cette maladie se limitent à cette seule famille. Passons.

Piranha est donc une nouvelle version d'une franchise à laquelle s'étaient déjà frottés Dante et Cameron. Je n'ai jamais eu l'occasion de voir les deux précédents et Aja a au moins réussi à m'en faire passer l'envie pour un bon moment. Je suis, en général, client des films dont l'intrigue tient sur une ligne et dont le but est de repousser les frontières du déjà-montré ; d'expérimenter sans en avoir l'air. Cette référence commence à vieillir, mais John Rambo était une date. Pour des raisons de censure et donc de gros sous, rares sont les films qui se permettent, avec des budgets confortables, de viser un public adulte et averti. Stallone, qui n'a apparemment pas eu le courage de remettre ça, vient à nouveau de le prouver avec son Expendables.

Je dois aussi confesser une faible tolérance aux degrés autres que le premier. J'apprécie très peu (ou très rarement) que le metteur en scène fasse son malin en prenant ses distances avec ses personnages, voire avec le genre. Scream représente, dans ce domaine, un parangon d'ignominie. Malgré tout le mal que je pense de son remake de Hills Have Eyes, Aja y gardait au moins encore un peu de volonté de traiter son sujet de manière frontale. En allant voir Piranha, j'espérais donc assister à des scènes de carnage aussi violentes que possibles, filmées avec imagination et précision.

Je n'ai (malheureusement) rien vu au Lake Victoria. Pas seulement à cause de la photo dégueulasse gangrénée par une 3D lépreuse aux effets inexistants. Il est d'ailleurs temps de cantonner ce procédé aux seules publicités Haribo ou Oasis. Les plans (souvent très sombres) où les piranhas (peu crédibles) se ruent en masse sur une proie sont à peu près aussi illisibles que les plans de combats dans Gladiator. Je n'ai pas non plus le souvenir d'avoir eu un semblant d'emballement cardiaque ou d'avoir brièvement joui sur une idée de scénario ou sur un plan novateur. Seule, à un moment donné, l'idée de transformer un ado sur son bateau en péril plus grand que celui représenté par les poiscailles numériques ne m'a pas déplu. Mais Aja est surtout coupable, à mes yeux, d'avoir succombé à la facilité de faire une parodie aussi nulle que les films auxquels elle se réfère. Certains personnages, et particulièrement le personnage du producteur et celui interprété par Lloyd, sont si crassement caricaturaux qu'on en vient à se demander si le film n'est pas plus un hommage à l'oeuvre de Pécas qu'une satire des teenage flicks américains. Sans un minimum de rondeur donnée aux personnages, comment le public peut-il s'identifier, frissonner ?

Mais peut-être que ce n'est pas ce que cherchaient à atteindre Aja et Levasseur. Pourtant, dans leur entreprise de vulgarité abyssale et de paillardise triste - à l'image de ces tue-l'érection que sont les vidéos pornos d'étudiants américains en goguette - ils n'arrivent pas non plus à rendre leur « biter » excitant, poilant ou subversif. La scène de saphisme aquatique (le monde de Piranha est essentiellement féminin et le peu de présence phallique voit son compte réglé par les prédateurs vedettes) est d'une laideur et d'un ridicule effroyables. Et c'est finalement dans le choix de l'accompagnement musical de cette scène qu'Aja commet son plus gros méfait. Mêler à sa bouillasse le sublime Duo des fleurs de Delibes, mille fois gangbangé et maltraité par les tâcherons du 7e Art, est non seulement la marque d'un cruel manque d'originalité, mais également celle d'une décomplexion totale. Celle-là même que j'aurais préféré trouver dans le traitement des scènes de cul ou de massacre.

A moins que cet emprunt musical ne soit en fait un clin d'oeil à la notion de famille au cinéma. Les frères Scott, qui ont abusé de Lakmé et Mallika, sauront, eux, apprécier.

mardi 10 août 2010

Running out of Flesh


(publié le 15 août 2010 sur cinethinktank.com)

« Je voulais pourtant que tout soit parfait. »

Je ne garantis pas le verbatim de cette phrase tirée de la VF de Grimm Love (Rohtenburg en allemand ; Confessions d'un cannibale en français), mais c'est ainsi que je veux m'en souvenir. Ce passage très court, où le personnage fraîchement émasculé regrette la mauvaise cuisson de son pénis, me revient régulièrement à l'esprit depuis bientôt une semaine.

Certes, le film de Martin Weisz déçoit par sa structure abâtardie. Ses créateurs donnent l'impression de n'avoir pas eu le courage d'en faire un moyen métrage franc, direct et refermé sur les personnages de l'ogre et de sa victime consentante. Encore une fois, la tyrannie des « 90 minutes en moyenne », qui permet de justifier une sortie en salles et des prix de billets exorbitants, aura ruiné une belle idée et l'aura transformée en spectacle (presque) grand public.

Il faut donc attendre la fin pour que le film arrête d'hésiter entre plusieurs sujets et décide de remiser, pendant un (trop) court moment, ses atours putassiers de mauvais téléfilm à sensation pour enfin se concentrer sur l'essentiel : la rencontre de deux êtres décidés à aller jusqu'au bout de leurs fantasmes de dévoration. Rien de novateur ou d'exceptionnel dans la représentation du cannibalisme, mais, photographiés dans une ambiance contrapuntique à la David Hamilton, les deux acteurs arrivent à donner chair à ce qui avait toutes les chances de pulvériser les limites du ridicule. Corsetés dans une interprétation minimaliste, leur retenue koulechovienne permet une identification fugace mais intense, qui met le cerveau en ébullition. A ce moment-là, ces deux êtres m'apparurent presque admirables dans leur détermination à accomplir ce « happening » ultime.

Heureusement pour le spectateur, et comme c'est généralement le cas dans les histoires d'amour, celle-ci va finir mal avant même d'avoir commencé. L'ogre est loin d'être un mauvais bougre, mais, comme tout homme politique ou VRP pressé d'emballer le chaland, il n'hésite pas à faire des promesses qu'il n'est pas sûr de pouvoir tenir. Et comme toujours, c'est l'électeur, le prospect, l'amant ou, en l'occurrence, le dévoré qui seront victimes d'y avoir cru. Tout l'intérêt du film, à mon avis, réside dans ces quelques minutes où rien ne se passe comme la « victime » en avait rêvé toute sa vie. Quand le cannibale se retrouve incapable d'arracher le sexe de son complice avec les dents, comme il le lui avait promis, et a recours à la lame, je n'ai pu m'empêcher d'être ému et de voir, dans toute la séquence qui suit, une métaphore parfaite des relations amoureuses et des rapports toujours déçus entre les bonimenteurs et leurs victimes.

A l'heure où certains commencent déjà à préparer leurs banderoles pour les manifestations de la rentrée, je ne saurais trop leur conseiller de jeter un œil sur Grimm Love (joli titre, quand même). « Casse-toi, pauv' con !» étant maintenant ringard, je propose de le remplacer par la phrase en exergue de ce papier. Précédée d'une question : « Les dents ou le couteau ? » 

mercredi 23 juin 2010

Opération « Gazon maudit » (Fiction)


(publié le 25 juin 2010 sur cinethinktank.com)

(extraits d'un rapport d'écoutes)

« ... et de bout en bout, cette affaire aura été menée de main de maître. Un peu trop peut-être. "Sourcils" et ses danseuses ont dépassé tous nos objectifs et je commence à craindre qu'un de ces vautours de journalistes trouve ça un peu trop cousu de fil blanc. Je me rassure pour l'instant en me disant que, depuis le début des festivités, ces baltringues ont accumulé un tel déficit de crédibilité dans l'opinion publique, que les blaireaux qui font leurs choux gras en commentant cette mascarade n'ont plus vraiment intérêt à sortir de leurs terriers magnifiquement enfumés depuis deux mois maintenant.

[...]

Je sais qu'il y en a parmi vous pour qui le football est une religion et qui ont souffert dans leur chair de cette débâcle. A eux tout particulièrement, je veux redire ceci : il était hors de question qu'une bande d'évadés fiscaux analphabètes menés par un vieux beau incompétent – qui croit qu'il suffit de se taper un jeune canon pour avoir de la classe – montrent quelque talent que ce soit dans la mission qui leur avait soi-disant été confiée. Suis-je assez clair ? Les Bleus devaient se vautrer et cela pour le bien du pays... et de l'élite qui le gouverne. L'Équipe de France, c'est la France ! Depuis 3 ans, nous mettons toute notre énergie et notre intelligence dans ce projet secret et capital pour l'avenir de la nation : « France, Terre brûlée ». Les finalités de ce projet et les intérêts qui en sont à l'origine n'ont pas à être dévoilés ici. S'ils dépassent l'entendement de certains d'entre vous, intégrez une bonne fois pour toutes qu'ils doivent permettre à terme à ce pays en phase de sclérose terminale de renaître de ses cendres. Jusqu'à présent, notre parcours sur cette voie a été un sans faute : éducation, fiscalité, retraites... J'en passe et là n'est pas la question. Tous les grands chantiers de destruction nécessaire ont été entrepris et la plupart de leurs objectifs atteints. Ces petites frappes ne devaient pas venir tout faire capoter.

[...]

Vous n'en avez peut-être pas conscience maintenant, mais votre mission est historique. S'il en était besoin, consolez-vous en vous disant que, dans l'immédiat, vous faites du bien à des millions de Français, qui se culpabilisent de ne pouvoir offrir une vie décente à leurs familles et un avenir désirable à leurs enfants. Ces Français-là ont besoin pour l'instant de croire que les sportifs milliardaires de leur pays sont aussi impuissants qu'eux et que les incompétents qu'ils ont portés au pouvoir. Ces Français-là doivent être convaincus que la défaite, l'incapacité, l'incompétence constituent une fatalité in-dé-pa-ssable ! Ces Français-là, enfin, nous les récupérerons en 2012, grâce à la dernière tranche de notre projet. Nous hésitons pour l'instant à la baptiser « 9/11 Redux ».

[...]

Je tiens surtout à vous remercier toutes les deux. Votre duo a cette fois-ci fonctionné à merveille. Toi, ma grande, après ton chef d'œuvre avec les vaccins, tu as de nouveau été égale à toi-même. Je saurai m'en souvenir. Même les cadors du Canard ont foncé tête baissée dans ce qui me semblait pourtant être la séquence la plus faible de ce scénario béton. De cette histoire d'hôtel à la noix, j'attendais au mieux un buzz moyen à partir du site du Nouvel Obs. Nous avons eu droit à la Rolls du journalisme transformé en char d'assaut. J'en suis presque ému. Quant à la petite-là, la fausse mineure, j'ai peut-être l'intention de la jouer à la Sylvio et de capitaliser sur ce coup-là. Avec Raymond, l'autre Raymond [rires dans la salle], nous envisageons de la bombarder à la rentrée à la tête d'une commission de réflexion sur la prostitution infantile. Peut-être une commission bicéphale, car le Jacquot attend un juste retour d'ascenseur. Il faut dire qu'il s'est démené comme personne avec son "Je souhaite la défaite des Bleus" sur le site de mon pote Jean-Marie.

[...]

Allez, je vous libère. On a encore beaucoup de travail. Comme vous l'avez lu dans vos torchons quotidiens, un bonheur n'arrive jamais seul. Les affaires de nos amis Eric, Christian et Alain sont en train de bien prendre et il ne faudr... »

mercredi 26 mai 2010

Ordalie d'un branleur



« Y en a, il leur faudrait une bonne guerre ! »

Voilà le sujet du War of the Worlds de Spielberg et Cruise. Comme la plupart des produits élaborés par celui qui réduisit en lambeaux et à grands coups de mâchoires la veine adulte du cinéma US des années 70, ce film est une bande démo dont le but est de servir de vitrine aux avancées technologiques d'ILM et de créer des images inédites dans l'histoire du cinéma. En l'occurence, il s'agit, dans la première partie, de filmer un film de science-fiction et des scènes de catastrophe à la manière d'un reportage de guerre, avec une gamme chromatique désaturée et une caméra portée le plus en mouvement possible. En bref, transporter l'esthétique du Soldat Ryan et de Band of Brothers dans un genre qui n'est pas traité habituellement de la sorte. L'année suivante, Cuaron, avec Children of Men, fera la même chose et le résultat sera nettement plus adulte et spectaculaire.

Comme souvent avec SAS, le film hésite à assumer un choix, à s'y tenir de bout en bout, et War of the Worlds dérive en chemin vers une esthétique fantastique radicalement différente du faux réalisme du début et de la fin du film. Une sorte de recyclage esthétique de certaines scènes de AI ; un grand écart auquel même le célèbre philosophe belge ne se risquerait pas. Il faut reconnaître que le choix de la typo au générique et le texte dit en voix-off par Morgan Freeman (qui étaye le film) avertissent le spectateur aguerri et attentif que ce n'est toujours pas ce coup-ci que Spielberg aura le courage de faire autre chose qu'un spectacle familial et assimilable par le plus grand nombre.

Mais la première partie de War of the Worlds vaut à elle seule de perdre 2 heures de sa vie.

On nous présente un adulescent qui gagne la sienne en jouant avec talent au Tétris géant sur les docks d'une ville du New Jersey. Dès les premières minutes, ce grand enfant nous est dépeint comme un branleur doué qui n'a pas envie de faire plaisir à son chef, pilote comme un irresponsable sa Ford Mustang et voit débarquer avec très peu d'enthousiasme ses deux progénitures, elles-mêmes forcées par le juge aux affaires familiales de partager la tanière de celui qui préfère démonter un moteur de bagnole dans sa salle à manger, plutôt que de penser à remplir le frigo pour le week-end. Un irrécupérable, donc, que sa femme a préféré quitter pour continuer sa mission procréatrice avec un homme, un vrai, qui ne s'habille pas comme un gamin et roule en laguna US.

Le gars, bien sûr, c'est Tom Cruise, avant qu'il rencontre Dieu, à savoir Ron Hubbard, ses écrits et ses missionnaires. Je ne vous refais pas la biographie de l'auteur de Terre, champ de bataille et Mission Terre. Mais une fois que l'ado attardé – qui préfère jouer que baiser, procréer et éduquer ses enfants – est enfin frappé par la foudre (celle qui n'hésite pas à frapper deux fois au même endroit ; histoire de le faire passer pour un con devant sa fille) et que celle-ci réveille des démons enterrés depuis des lustres, l'homme, le protecteur et le héros qui sommeillent en lui vont enfin pouvoir émerger.

Attention, spoiler !!! (pour la Ford Mustang)

A l'issue de son épreuve initiatique, l'homme neuf ramène le fils (jadis) révolté à sa mère et là le spectateur ne sait pas... Débarrassé dignement de son ancienne vie, aura-t-il à cœur de mener une vie enfin responsable, voire une vie de missionnaire, où il aura tout le loisir de rencontrer de futurs dirigeants de républiques bananières (de petite taille comme lui) pour leur expliquer le bien-fondé de la parole hubbardienne ? Ou bien, plus sérieusement, préfèrera-t-il rester célibataire, garder une âme d'adolescent et choisir enfin un métier qui rapporte de la bonne grosse thune et permet de payer des pensions alimentaires mirobolantes sans avoir à se fader ses mioches un week-end sur deux ; avec le risque de tout perdre dans une organisation pyramidale bien plus redoutable que tous les extra-terrestres vénères de l'univers ?