mercredi 1 décembre 2010

Grinderman



Depuis qu'il est devenu célèbre pour de mauvaises raisons (budgétaires) avec son Mariachi, Robert Rodriguez a réalisé deux films agréables (Une Nuit en enfer ; Sin City) et une pochade marrante, mais trop longue d'au moins une heure (Planet Terror). C'est le problème, à mon avis, avec Rodriguez : il n'a jamais réussi à écrire un bon scénario et même ses meilleurs films sont ou trop longs ou bancals. Une Nuit en enfer, par exemple, était composé de deux moyens métrages : un road movie sur deux frères psychopathes en cavale soudé à un roadhouse movie sur les mêmes frangins et leurs otages piégés par une bande de go-go danseuses. Sin City, lui non plus, malgré l'avantage de sa structure en sketchs, n'évitait pas l'écueil du long-métrage mal rythmé. De toute façon, depuis sa sortie et ses multiples remontages, il semble voué à finir « façon puzzle » aux quatre coins de la galaxie Youtube.

Machete me donne d'ailleurs l'impression d'être originaire de cette galaxie blobulaire en perpétuelle expansion. Tout d'abord, son embryon (la fausse [vraie] bande-annonce) y est conservé depuis le dépeçage du projet Grindhouse par les boucheries Weinstein ; dans lesquelles avait déjà été débité Kill Bill. Puis il y a la voie prise par Rodriguez : un esprit de déconnade ultraréférentielle n'hésitant pas à recourir à de mauvais effets spéciaux Photoshop (pour donner l'illusion de la pellicule abîmée, par exemple). Avec le Texan, on est parfois dangereusement proche du niveau des parodies déversées tous les jours sur le web par des armées de vidéastes amateurs.

A une époque (celle que prédisait Coppola à la fin de Hearts of Darkness) où des films intégralement shootés avec un appareil photo (La Casa muda ; Rubber...) essayent de faire oublier leurs budgets et leur origine pour se hisser au même niveau de professionnalisme que le reste des productions millionnaires, Robert Rodriguez use de moyens démesurés pour imiter les « exploitation movies » et enlaidir chacun de ses plans. Sur le principe, cela n'est guère critiquable. Ce qui l'est un peu plus, c'est que, d'un point de vue artistique, Machete est grosso modo un bégaiement de Planet Terror. Certes, le genre imité n'est pas le même, mais cette deuxième tentative n'arrive toujours pas à décoller et à transcender l'exercice parodique. Avec un tel casting et de tels moyens à sa disposition, il ne me semble pourtant pas déplacé d'attendre de Rodriguez qu'il fasse montre de virtuosité et crée, sur cet écrin de laideur, des images et des situations mémorables, originales, belles éventuellement. Sous les faux-raccords, les mauvais cadrages et la photo pauvre, rien de mémorable malheureusement n'affleure. Pas même dans les scènes d'action. Pas même dans son duel final ! J'entends déjà Turi Ferrer me hurler à l'oreille que cela est bien la marque d'une cohérence artistique : « Rodriguez ne se met jamais en valeur en se hissant, comme son talent le lui permettrait, au-dessus de ses modèles ! »

En revanche, je dois bien reconnaître que, grâce à la charge de son sous-texte politique et malgré sa durée excessive, Machete se laisse plus facilement regarder que Planet Terror. J'attends avec impatience, dans le jeu infini du serpent qui se la mord, la parodie française sur Youtube : Django ! De la citation indirecte à Escape from New York (avec son mur de la honte) à celle plus évidente à They Live, Rodriguez exploite son sous-genre pour véhiculer un message assez clair et radical : les Mexicains sont considérés par les autorités américaines comme un fléau et une menace dont il faut se protéger. Dans ces rares scènes-là, on se prend à jubiler devant un synchronisme aussi miraculeux avec l'agenda politique français de l'été.

Pour autant, passées les premières minutes, ce qui me déçoit le plus avec ce film, comme avec le Piranha d'Aja, c'est la retenue de Rodriguez, que ce soit dans la représentation de la violence ou dans celle de la sexualité. Comme c'est également souvent le cas chez Carpenter d'ailleurs, le spectateur est attiré par un concept ou une idée de départ intéressants, mais des considérations extra-artistiques et la pauvreté de l'écriture le laissent rapidement la queue entre les jambes, frustré, obligé de se finir tout seul et, si ses capacités le lui permettent, de projeter sur le film ce qu'il aurait aimé y trouver.

mercredi 24 novembre 2010

D'où parles-tu, camarade ?




« Qui es-tu pour critiquer le travail des autres ? Qu'as-tu fait dans ta vie, toi ? »

Il y a peu, à chaque riposte d'un membre de la confrérie planétaire des porteurs d'encensoir, je répondais encore : «  Rien, justement. J'ai fait voeu d'abstinence jusqu'à présent, pour avoir la liberté de m'exprimer, entre autres, sur les productions de ceux qui n'ont pas eu cette décence et avec lesquelles je n'entretiens aucun rapport. »

C'est en lisant un papier de Yann Moix contre (le dernier) Virginie Despentes dans Transfuge du mois d'octobre que j'ai compris qu'il était décidément inutile de se justifier, tant les limites de la décence et de la probité ont été pulverisées par nombre de figures médiatiques de ce beau pays. Imaginez, le réalisateur de Podium et Cinéman – salarié de l'organe officiel de l'UMP, invité sur la plupart des plateaux télé dès qu'il pond trois feuillets et, à l'occasion, garçon d'ascenseur spécialisé dans le renvoi aux amis ; surtout quand ceux-ci sont des cinéastes de génie comme BHL – reprocher à Despentes d'oublier ce qui selon lui est primordial chez les écrivains : le monde. Diantre ! On sait déjà que le prochain Moix sera dans la veine des séries de David Simon. Soyons honnête, l'argument est recevable, ainsi qu'une ou deux autres attaques noyées dans ce petit filet de fiel. Où est le problème alors ? Peut-être, encore une fois, que certaines vérités dans la bouche de certaines personnes n'en sont plus. Une variation sur le thème du « On peut rire de tout, mais... »

Tout comme peu de gens semblent trouver normal de demander aux journalistes politiques de ne plus avoir de relations extra-professionnelles avec le personnel politique qu'ils sont censés observer en toute impartialité (voire sur lequel il pourrait leur arriver d'enquêter), il n'est de toute façon généralement pas bien vu de reprocher à certains pigistes cumulards d'assurer, sous l'apparence de la critique, la promotion des films réalisés, produits ou distribués par leurs amis ou anciens confrères. Ca y est, j'entends déjà le grand Turi Ferrer m 'objecter : « Ils ne vont quand même pas s'interdire de faire une critique positive sous prétexte qu'ils connaissent ou sont amis avec le réalisateur ? » Est-ce vraiment si difficile à envisager ?

Quant à l'argument brillant qui consiste à disqualifier les propos du critique en défiant ce dernier d'en faire (au moins) autant en passant derrière la caméra, il me rappelle celui des patrons de PME qui conseillent à leurs salariés mécontents de monter leur propre boîte si quelque chose les dérange. Pourtant, à l'épreuve du réel, cet argument est des plus dangereux. Que dire à Gans, Boukhrief ou dernièrement Yannick Dahan, qui ont choisi de passer derrière la caméra pour pondre des films mortellement daubés et dépourvus de tout l'intérêt que leur culture cinéphilique immense aurait pu leur conférer ? On ne peut décemment pas inverser l'argument et s'en servir à leurs dépens dès qu'ils décideront de réintégrer la place du commentateur.

En revanche, on pourrait tout simplement demander à certains de serrer les dents et de s'abstenir de geindre bruyamment dès qu'ils font personnellement les frais de la critique. Les mêmes qui oublient, sitôt qu'ils passent à la réalisation, qu'ils ont été eux-mêmes féroces quand cela leur semblait nécessaire et sans demander l'autorisation à qui que ce soit. Les mêmes qui réclament l'indulgence du "jury" car leur budget était sans commune mesure avec les budgets hollywoodiens ou qui implorent, comme des petits écoliers, que l'on prenne en compte l'intention ou l'effort au lieu de ne juger que le résultat final.

Récemment, un ami facebook me faisait part d'une anecdote sur la terriblement douée Pauline Kael. Comme d'habitude, je n'ai pas pris la peine de vérifier. De toute façon, réelle ou inventée, elle me paraît idéale pour clore ce papier et lui donner un vernis « cautionary tale ». Je précise cependant, au risque de vous embrouiller et de ruiner ma chute, que, dans le cas de Kael, je serais prêt à faire une exception et à mourir corrompu jusqu'à la moelle et banni, si j'avais pu auparavant jouir d'une once de son talent. Cet ami m'écrivait donc : « ...elle a été d'une grande importance pour le nouvel Hollywood en sauvant Bonnie and Clyde, à l'initiative de Warren Beatty, qui se la mit dans la poche par la suite en lui proposant un poste de productrice sur des films de Paul Schrader et de James Toback qu'il ne fit jamais. Ce fut la fin de sa carrière. »

Comme disait ma grand-mère : « Y a vraiment qu'en Amérique qu'on voit des choses pareilles. »

vendredi 3 septembre 2010

Family Jewels


(publié le 8 septembre 2010 sur cinethinktank.com)

Pour le prix d'un pavé de Vollmann sur la Marketplace d'Amazon, j'ai été autorisé à voir, dans un multiplexe de ma ville, la dernière infamie des frères Weinstein. Il faut préciser que j'aime me rendre dans ces salles pour le contact que je peux y avoir avec le post-humain. Le public qui les fréquente est constitué de gens qui sont, au moins sur le plan physiologique, des êtres exceptionnels : capables de garder leurs conduits auditifs dégagés, tout en ingurgitant frites, maïs soufflé, friandises et boisson gazeuse pendant plus de 90 minutes. C'est en compagnie de ces cinéphiles hardcore amoureux de bonne chère, que j'ai pu vérifier (probablement pour la dernière fois) qu'Alexandre Aja était toujours incapable de pondre un bon film US. Certes, Haute Tension, avec sa photo pubarde et son twist final digne du génie lucbessonien, ne constituait pas vraiment une date dans l'histoire du film gore. On y sentait toutefois une volonté honnête de premier degré rentre-dedans assez réjouissante et qui, à l'époque, paraissait prometteuse.

Il paraît qu'Alexandre est le fils d'Alexandre. Je déteste autant les infos « people » en matière de cinéma que je vomis toutes celles relatives aux budgets des films ou à leurs recettes. Celle-ci (vraie ou pas), je l'ai retenue car j'étais un grand fan du Coup de Sirocco dans ma jeunesse. Le fils souffrirait-il donc d'une malédiction familiale ? Je n'ai plus une connaissance précise de la filmographie d'Arcady. J'ai cependant le vague souvenir que le père a commencé à décliner, quand il s'est mis en tête, avec Le Grand Pardon, d'imiter un certain cinéma US qui ne lui en demandait pas tant. Difficile toutefois de considérer que les ravages français causés par cette maladie se limitent à cette seule famille. Passons.

Piranha est donc une nouvelle version d'une franchise à laquelle s'étaient déjà frottés Dante et Cameron. Je n'ai jamais eu l'occasion de voir les deux précédents et Aja a au moins réussi à m'en faire passer l'envie pour un bon moment. Je suis, en général, client des films dont l'intrigue tient sur une ligne et dont le but est de repousser les frontières du déjà-montré ; d'expérimenter sans en avoir l'air. Cette référence commence à vieillir, mais John Rambo était une date. Pour des raisons de censure et donc de gros sous, rares sont les films qui se permettent, avec des budgets confortables, de viser un public adulte et averti. Stallone, qui n'a apparemment pas eu le courage de remettre ça, vient à nouveau de le prouver avec son Expendables.

Je dois aussi confesser une faible tolérance aux degrés autres que le premier. J'apprécie très peu (ou très rarement) que le metteur en scène fasse son malin en prenant ses distances avec ses personnages, voire avec le genre. Scream représente, dans ce domaine, un parangon d'ignominie. Malgré tout le mal que je pense de son remake de Hills Have Eyes, Aja y gardait au moins encore un peu de volonté de traiter son sujet de manière frontale. En allant voir Piranha, j'espérais donc assister à des scènes de carnage aussi violentes que possibles, filmées avec imagination et précision.

Je n'ai (malheureusement) rien vu au Lake Victoria. Pas seulement à cause de la photo dégueulasse gangrénée par une 3D lépreuse aux effets inexistants. Il est d'ailleurs temps de cantonner ce procédé aux seules publicités Haribo ou Oasis. Les plans (souvent très sombres) où les piranhas (peu crédibles) se ruent en masse sur une proie sont à peu près aussi illisibles que les plans de combats dans Gladiator. Je n'ai pas non plus le souvenir d'avoir eu un semblant d'emballement cardiaque ou d'avoir brièvement joui sur une idée de scénario ou sur un plan novateur. Seule, à un moment donné, l'idée de transformer un ado sur son bateau en péril plus grand que celui représenté par les poiscailles numériques ne m'a pas déplu. Mais Aja est surtout coupable, à mes yeux, d'avoir succombé à la facilité de faire une parodie aussi nulle que les films auxquels elle se réfère. Certains personnages, et particulièrement le personnage du producteur et celui interprété par Lloyd, sont si crassement caricaturaux qu'on en vient à se demander si le film n'est pas plus un hommage à l'oeuvre de Pécas qu'une satire des teenage flicks américains. Sans un minimum de rondeur donnée aux personnages, comment le public peut-il s'identifier, frissonner ?

Mais peut-être que ce n'est pas ce que cherchaient à atteindre Aja et Levasseur. Pourtant, dans leur entreprise de vulgarité abyssale et de paillardise triste - à l'image de ces tue-l'érection que sont les vidéos pornos d'étudiants américains en goguette - ils n'arrivent pas non plus à rendre leur « biter » excitant, poilant ou subversif. La scène de saphisme aquatique (le monde de Piranha est essentiellement féminin et le peu de présence phallique voit son compte réglé par les prédateurs vedettes) est d'une laideur et d'un ridicule effroyables. Et c'est finalement dans le choix de l'accompagnement musical de cette scène qu'Aja commet son plus gros méfait. Mêler à sa bouillasse le sublime Duo des fleurs de Delibes, mille fois gangbangé et maltraité par les tâcherons du 7e Art, est non seulement la marque d'un cruel manque d'originalité, mais également celle d'une décomplexion totale. Celle-là même que j'aurais préféré trouver dans le traitement des scènes de cul ou de massacre.

A moins que cet emprunt musical ne soit en fait un clin d'oeil à la notion de famille au cinéma. Les frères Scott, qui ont abusé de Lakmé et Mallika, sauront, eux, apprécier.

mardi 10 août 2010

Running out of Flesh


(publié le 15 août 2010 sur cinethinktank.com)

« Je voulais pourtant que tout soit parfait. »

Je ne garantis pas le verbatim de cette phrase tirée de la VF de Grimm Love (Rohtenburg en allemand ; Confessions d'un cannibale en français), mais c'est ainsi que je veux m'en souvenir. Ce passage très court, où le personnage fraîchement émasculé regrette la mauvaise cuisson de son pénis, me revient régulièrement à l'esprit depuis bientôt une semaine.

Certes, le film de Martin Weisz déçoit par sa structure abâtardie. Ses créateurs donnent l'impression de n'avoir pas eu le courage d'en faire un moyen métrage franc, direct et refermé sur les personnages de l'ogre et de sa victime consentante. Encore une fois, la tyrannie des « 90 minutes en moyenne », qui permet de justifier une sortie en salles et des prix de billets exorbitants, aura ruiné une belle idée et l'aura transformée en spectacle (presque) grand public.

Il faut donc attendre la fin pour que le film arrête d'hésiter entre plusieurs sujets et décide de remiser, pendant un (trop) court moment, ses atours putassiers de mauvais téléfilm à sensation pour enfin se concentrer sur l'essentiel : la rencontre de deux êtres décidés à aller jusqu'au bout de leurs fantasmes de dévoration. Rien de novateur ou d'exceptionnel dans la représentation du cannibalisme, mais, photographiés dans une ambiance contrapuntique à la David Hamilton, les deux acteurs arrivent à donner chair à ce qui avait toutes les chances de pulvériser les limites du ridicule. Corsetés dans une interprétation minimaliste, leur retenue koulechovienne permet une identification fugace mais intense, qui met le cerveau en ébullition. A ce moment-là, ces deux êtres m'apparurent presque admirables dans leur détermination à accomplir ce « happening » ultime.

Heureusement pour le spectateur, et comme c'est généralement le cas dans les histoires d'amour, celle-ci va finir mal avant même d'avoir commencé. L'ogre est loin d'être un mauvais bougre, mais, comme tout homme politique ou VRP pressé d'emballer le chaland, il n'hésite pas à faire des promesses qu'il n'est pas sûr de pouvoir tenir. Et comme toujours, c'est l'électeur, le prospect, l'amant ou, en l'occurrence, le dévoré qui seront victimes d'y avoir cru. Tout l'intérêt du film, à mon avis, réside dans ces quelques minutes où rien ne se passe comme la « victime » en avait rêvé toute sa vie. Quand le cannibale se retrouve incapable d'arracher le sexe de son complice avec les dents, comme il le lui avait promis, et a recours à la lame, je n'ai pu m'empêcher d'être ému et de voir, dans toute la séquence qui suit, une métaphore parfaite des relations amoureuses et des rapports toujours déçus entre les bonimenteurs et leurs victimes.

A l'heure où certains commencent déjà à préparer leurs banderoles pour les manifestations de la rentrée, je ne saurais trop leur conseiller de jeter un œil sur Grimm Love (joli titre, quand même). « Casse-toi, pauv' con !» étant maintenant ringard, je propose de le remplacer par la phrase en exergue de ce papier. Précédée d'une question : « Les dents ou le couteau ? » 

mercredi 23 juin 2010

Opération « Gazon maudit » (Fiction)


(publié le 25 juin 2010 sur cinethinktank.com)

(extraits d'un rapport d'écoutes)

« ... et de bout en bout, cette affaire aura été menée de main de maître. Un peu trop peut-être. "Sourcils" et ses danseuses ont dépassé tous nos objectifs et je commence à craindre qu'un de ces vautours de journalistes trouve ça un peu trop cousu de fil blanc. Je me rassure pour l'instant en me disant que, depuis le début des festivités, ces baltringues ont accumulé un tel déficit de crédibilité dans l'opinion publique, que les blaireaux qui font leurs choux gras en commentant cette mascarade n'ont plus vraiment intérêt à sortir de leurs terriers magnifiquement enfumés depuis deux mois maintenant.

[...]

Je sais qu'il y en a parmi vous pour qui le football est une religion et qui ont souffert dans leur chair de cette débâcle. A eux tout particulièrement, je veux redire ceci : il était hors de question qu'une bande d'évadés fiscaux analphabètes menés par un vieux beau incompétent – qui croit qu'il suffit de se taper un jeune canon pour avoir de la classe – montrent quelque talent que ce soit dans la mission qui leur avait soi-disant été confiée. Suis-je assez clair ? Les Bleus devaient se vautrer et cela pour le bien du pays... et de l'élite qui le gouverne. L'Équipe de France, c'est la France ! Depuis 3 ans, nous mettons toute notre énergie et notre intelligence dans ce projet secret et capital pour l'avenir de la nation : « France, Terre brûlée ». Les finalités de ce projet et les intérêts qui en sont à l'origine n'ont pas à être dévoilés ici. S'ils dépassent l'entendement de certains d'entre vous, intégrez une bonne fois pour toutes qu'ils doivent permettre à terme à ce pays en phase de sclérose terminale de renaître de ses cendres. Jusqu'à présent, notre parcours sur cette voie a été un sans faute : éducation, fiscalité, retraites... J'en passe et là n'est pas la question. Tous les grands chantiers de destruction nécessaire ont été entrepris et la plupart de leurs objectifs atteints. Ces petites frappes ne devaient pas venir tout faire capoter.

[...]

Vous n'en avez peut-être pas conscience maintenant, mais votre mission est historique. S'il en était besoin, consolez-vous en vous disant que, dans l'immédiat, vous faites du bien à des millions de Français, qui se culpabilisent de ne pouvoir offrir une vie décente à leurs familles et un avenir désirable à leurs enfants. Ces Français-là ont besoin pour l'instant de croire que les sportifs milliardaires de leur pays sont aussi impuissants qu'eux et que les incompétents qu'ils ont portés au pouvoir. Ces Français-là doivent être convaincus que la défaite, l'incapacité, l'incompétence constituent une fatalité in-dé-pa-ssable ! Ces Français-là, enfin, nous les récupérerons en 2012, grâce à la dernière tranche de notre projet. Nous hésitons pour l'instant à la baptiser « 9/11 Redux ».

[...]

Je tiens surtout à vous remercier toutes les deux. Votre duo a cette fois-ci fonctionné à merveille. Toi, ma grande, après ton chef d'œuvre avec les vaccins, tu as de nouveau été égale à toi-même. Je saurai m'en souvenir. Même les cadors du Canard ont foncé tête baissée dans ce qui me semblait pourtant être la séquence la plus faible de ce scénario béton. De cette histoire d'hôtel à la noix, j'attendais au mieux un buzz moyen à partir du site du Nouvel Obs. Nous avons eu droit à la Rolls du journalisme transformé en char d'assaut. J'en suis presque ému. Quant à la petite-là, la fausse mineure, j'ai peut-être l'intention de la jouer à la Sylvio et de capitaliser sur ce coup-là. Avec Raymond, l'autre Raymond [rires dans la salle], nous envisageons de la bombarder à la rentrée à la tête d'une commission de réflexion sur la prostitution infantile. Peut-être une commission bicéphale, car le Jacquot attend un juste retour d'ascenseur. Il faut dire qu'il s'est démené comme personne avec son "Je souhaite la défaite des Bleus" sur le site de mon pote Jean-Marie.

[...]

Allez, je vous libère. On a encore beaucoup de travail. Comme vous l'avez lu dans vos torchons quotidiens, un bonheur n'arrive jamais seul. Les affaires de nos amis Eric, Christian et Alain sont en train de bien prendre et il ne faudr... »

mercredi 26 mai 2010

Ordalie d'un branleur



« Y en a, il leur faudrait une bonne guerre ! »

Voilà le sujet du War of the Worlds de Spielberg et Cruise. Comme la plupart des produits élaborés par celui qui réduisit en lambeaux et à grands coups de mâchoires la veine adulte du cinéma US des années 70, ce film est une bande démo dont le but est de servir de vitrine aux avancées technologiques d'ILM et de créer des images inédites dans l'histoire du cinéma. En l'occurence, il s'agit, dans la première partie, de filmer un film de science-fiction et des scènes de catastrophe à la manière d'un reportage de guerre, avec une gamme chromatique désaturée et une caméra portée le plus en mouvement possible. En bref, transporter l'esthétique du Soldat Ryan et de Band of Brothers dans un genre qui n'est pas traité habituellement de la sorte. L'année suivante, Cuaron, avec Children of Men, fera la même chose et le résultat sera nettement plus adulte et spectaculaire.

Comme souvent avec SAS, le film hésite à assumer un choix, à s'y tenir de bout en bout, et War of the Worlds dérive en chemin vers une esthétique fantastique radicalement différente du faux réalisme du début et de la fin du film. Une sorte de recyclage esthétique de certaines scènes de AI ; un grand écart auquel même le célèbre philosophe belge ne se risquerait pas. Il faut reconnaître que le choix de la typo au générique et le texte dit en voix-off par Morgan Freeman (qui étaye le film) avertissent le spectateur aguerri et attentif que ce n'est toujours pas ce coup-ci que Spielberg aura le courage de faire autre chose qu'un spectacle familial et assimilable par le plus grand nombre.

Mais la première partie de War of the Worlds vaut à elle seule de perdre 2 heures de sa vie.

On nous présente un adulescent qui gagne la sienne en jouant avec talent au Tétris géant sur les docks d'une ville du New Jersey. Dès les premières minutes, ce grand enfant nous est dépeint comme un branleur doué qui n'a pas envie de faire plaisir à son chef, pilote comme un irresponsable sa Ford Mustang et voit débarquer avec très peu d'enthousiasme ses deux progénitures, elles-mêmes forcées par le juge aux affaires familiales de partager la tanière de celui qui préfère démonter un moteur de bagnole dans sa salle à manger, plutôt que de penser à remplir le frigo pour le week-end. Un irrécupérable, donc, que sa femme a préféré quitter pour continuer sa mission procréatrice avec un homme, un vrai, qui ne s'habille pas comme un gamin et roule en laguna US.

Le gars, bien sûr, c'est Tom Cruise, avant qu'il rencontre Dieu, à savoir Ron Hubbard, ses écrits et ses missionnaires. Je ne vous refais pas la biographie de l'auteur de Terre, champ de bataille et Mission Terre. Mais une fois que l'ado attardé – qui préfère jouer que baiser, procréer et éduquer ses enfants – est enfin frappé par la foudre (celle qui n'hésite pas à frapper deux fois au même endroit ; histoire de le faire passer pour un con devant sa fille) et que celle-ci réveille des démons enterrés depuis des lustres, l'homme, le protecteur et le héros qui sommeillent en lui vont enfin pouvoir émerger.

Attention, spoiler !!! (pour la Ford Mustang)

A l'issue de son épreuve initiatique, l'homme neuf ramène le fils (jadis) révolté à sa mère et là le spectateur ne sait pas... Débarrassé dignement de son ancienne vie, aura-t-il à cœur de mener une vie enfin responsable, voire une vie de missionnaire, où il aura tout le loisir de rencontrer de futurs dirigeants de républiques bananières (de petite taille comme lui) pour leur expliquer le bien-fondé de la parole hubbardienne ? Ou bien, plus sérieusement, préfèrera-t-il rester célibataire, garder une âme d'adolescent et choisir enfin un métier qui rapporte de la bonne grosse thune et permet de payer des pensions alimentaires mirobolantes sans avoir à se fader ses mioches un week-end sur deux ; avec le risque de tout perdre dans une organisation pyramidale bien plus redoutable que tous les extra-terrestres vénères de l'univers ?

samedi 24 avril 2010

In the Ass



(Publié sous le titre "Underage Romance", le 7 mai 2010, sur Cinethinktank.com)

Je tiens le « high concept » de la décennie ! Le premier « teen movie » commercial chargé jusqu'à la gueule de « frontal nudity », avec 2 ou 3 scènes de sexe allant crescendo jusqu'à un final quasiment pornographique, renvoyant Larry Clark aux oubliettes de l'histoire du cinéma.

Je pars d'un truc genre Les Nuits fauves, avec un ado qui cherche son identité sexuelle, pense être homo, et commence son parcours initiatique dans les parcs la nuit. Jusqu'au jour où il tombe sur 3 racailles tatouées et bâties comme des Dieux grecs qui le tabassent, le violent et le laissent pour mort. Sauvé mais affreusement défiguré, il décide de se prostituer en se cachant sous un costume de catcheur mexicain. Culo Atomico est né. Il crée son blog sur lequel il montre des vidéos de ses exploits sexuels et le buzz dans le milieu gay des campus US est tel que le gars devient une méga star. Il tourne dans tout le pays, jusqu'au jour où il tombe amoureux de celle qui va lui faire prendre conscience qu'il est hétéro.

Elle, c'est LolitaX, la plus jeune porn star ayant jamais existé. Managée par sa mère, on suit son histoire en parallèle bien entendu. Là, je suis plus sur une inspiration Little Miss Sunshine. Abusée depuis la naissance par un père incestueux, elle est placée dans une famille d'accueil, après que sa mère a tué le monstre. Écopant d'une peine minimale grâce à un jury compréhensif, elle récupère vite sa fille, qu'elle entraîne pendant des années pour devenir une Tracy Lords pré-ado, afin de décrocher le jackpot et prendre leur revanche sur une vie qui ne les a pas épargnées. Malheureusement, rattrapée par ses vieux démons et par un tueur rencontré dans un bar louche, la génitrice est violée et brûlée vive par son agresseur, qui en profite pour réaliser un « snuff ». Elle meurt donc peu de temps avant l'événement qui doit apporter gloire et fortune à la chair de sa chair.

Le final et la rencontre des deux parcours ? Un méga gang bang Bi, diffusé en événement planétaire sur Youtube, avec pour têtes d'affiches nos deux héros devenus stars internationales. Malheureusement, au premier coup de queue, c'est le coup de foudre. LolitaX et Culo Atomico comprennent à quel point leurs vies n'ont été vécues que pour ce moment-là et plantent tout le monde pour finir leurs jours avec une tripotée de chiards dans un immense camping-car (là, je sais plus à quoi je fais référence !).

Comme ma mère me le dit, ça risque de pas être facile à vendre. Mais je suis pas le dernier des cons et ma collection de Première m'a au moins permis une chose : connaître l'histoire du cinéma de ces dix dernières années sur le bout des doigts. Il a fait quoi Gaspar Noé quand Cassel et Bellucci l'ont planté avec son projet de porno grand public ? Il a transformé son histoire en « revenge flick ». Je change le gamin en apprenti justicier, la gamine en fille à papa tueuse à gages, façon Léon de Luc Besson, et le gang bang final par un carnage à la House of Blue Leaves. Du coup, je peux même descendre l'âge de la gamine à 11 ans.

lundi 29 mars 2010

Tintin et l'île maudite

J'ai assisté hier pendant plus de 2h à une adaptation trop longue d'une aventure de Tintin jamais éditée en BD. C'est une vision sombre d'un Tintin schizophrène, changé en flic pour coller aux standards hollywoodiens et privé de son sidekick canin, car l'action se déroule dans une « prison psychiatrique » et - même si le souci d'authenticité et de réalisme n'est pas au cœur du projet -je suppose que les génies qui ont pondu ce chef d'œuvre ont jugé peu concevable de faire accepter au grand public (aussi bienveillant soit-il et force est de reconnaître qu'il l'est ces derniers temps) l'internement d'un fox-terrier.

Pour éviter de trop radoter, ce qui reviendrait à adapter la forme et le fond de mon commentaire à celui du film commenté, je vais faire l'impasse sur l'utilisation de la musique et celle abusive de la grue et des contre-plongées pour palier l'absence de réflexion et de projet sur la composition du cadre. Je souhaite toutefois mettre à nouveau en avant ce qui était déjà évident dans les précédents films photographiés par Robert Richardson et qui ici semble sonner le glas d'une photographie au cinéma comme nous l'avons connue. Même en projection traditionnelle, trop de films actuels sont numériques dans leur facture : sans véritable grain, lisse et propre à une commercialisation Direct-to-DVD. Dans le cas de Richardson, cela se double d'une conception de l'image en vignette, chaque plan valant pour lui-même, sans aucune ouverture sur l'avant, l'après ou le hors-champ : une esthétique pub ou clip, qui empêche le spectateur d'entrer dans le monde représenté et d'adhérer à ses personnages.

Inutile de préciser donc qu'au bout d'une heure, il vous tarde juste qu'un arbre vienne s'abattre sur le héros pour mettre fin au calvaire du personnage joué par un DiCaprio qui, comme dans Aviator, donne l'impression de rester un éternel adolescent maquillé pour jouer un rôle d'adulte. Sourcils froncés et visage fermé, il ne se départ jamais de ce masque de souffrance et de son sparadrap à la Hercule le chat, qui trahit rapidement une partie du mauvais twist à venir.

On sent également la volonté de Scorsese de se référer, entre autres, au Zaroff de Schoedsack, mais ce qui est désolant, c'est qu'il le fait via l'esthétique Weta du King Kong de Jackson. Les plans de la séquence sur la falaise sont à pleurer ou mourir de rire. Son imitation du côté faux et kitsch des extérieurs en studio par le biais d'une utilisation aussi désastreuse du green screen est peut-être due à une volonté de jouer la carte de la cohérence esthétique pour s'adapter à l'artificialité et à la laideur numérique de la photo. On se prend à imaginer, entre deux bâillements, ce qu'aurait donné Raging Bull photographié par Richardson !

Enfin, il ne fait aucun doute qu'une encyclopédie comme Scorsese a déjà eu vent de la fameuse formule sur la morale du travelling. On constate malheureusement avec ce film qu'il ne l'a pas intégrée à son code de déontologie et la manière gratuite dont il convoque la Shoah, dans une histoire qui ne le méritait pas, accable encore plus le spectateur qui se demande comment il est possible qu'un tel cinéaste arrive à accoucher sans honte d'un Cape Fear 2 pour enfants. A-t-il pensé que ce film serait peut-être son dernier et qu'il laisserait à la postérité des scènes de libération de Dachau dont l'esthétique donne l'impression qu'elles ont été filmées par le Christophe Gans du Pacte des Loups et de Silent Hill ?

jeudi 25 mars 2010

Weltanschauung et happy-ending au second tour des régionales

Le week-end du 21 mars, il a voulu épater sa fille de 11 ans en lui montrant The Host de Joon-ho Bong. Comme toutes les victimes d'éclatement de la cellule familiale, il dépense une bonne part de son énergie à essayer de prouver à son enfant partagée qu'il n'est pas qu'une bête de somme et que, avant de finir comme chair à patrons, il a eu une passion dévorante dont les restes pourraient lui être profitables entre deux épisodes de Mentalist ou Dr. House.

« C'est quoi ce film ? »

« Un film de monstre. Pas un film de monstre classique, c'est pour ça que je veux te le montrer. C'est aussi un drame... familial... une comédie... et une satire politique probablement. Encore que ça, c'est moins évident. »

« Ca se passe où ? »

« En Corée. »

« C'est pour ça qu'ils ont des têtes d'Asiatiques sur la jaquette ! »

« C'est fort probable. Bon, je regarde le début avec toi. »

Il voulait juste vérifier qu'il aimait toujours le premier carnage sur la base aquatique, mais soufflé qu'il est par ce Bong, il se laisse prendre plus longtemps que prévu et se retrouve au milieu du film. Là, soudain, il réalise qu'il a oublié la fin et ne sait donc plus si la fillette va être sauvée. Il sent monter une angoisse sourde, doublée d'un léger agacement. Nouvelle confirmation que, depuis quelques mois, il supporte mal les films dont l'issue n'est pas heureuse. Il attend la fin du film pour entamer le débat avec sa fille, qui s'empresse de répondre :

« C'est nul, de toute façon, tous ces films qui finissent toujours bien. Le héros gagne, tout le monde est sauvé. Ils nous prennent pour des idiots. Celui-là, au moins, c'est différent. Même si la fin est pas si triste que ça. »

« Ca veut dire quoi un film qui se termine mal ? Un film, c'est l'expression d'une vision du monde... Mais c'est aussi un commentaire sur cette vision et sûrement que, dans ce commentaire, il doit y avoir les éléments d'une proposition sur ce que ce monde devrait être. »

« Ouaip... Chais pas... En tout cas, tout se termine pas toujours bien dans la vraie vie. »

11 ans et elle vient de l'envoyer dans les cordes de la ringardise et de la mièvrerie rampantes qui guettent le quadra qui sait que sa vie est en train de lui échapper et qui se rend compte que sa « vraie vie », c'est peut-être devenu le cinéma. Elevé au Perrault et au Grimm, et dans la croyance que les suppôts du mal sont inéluctablement châtiés par les agents du bien, il a développé sa propre Matrice avec les milliers de fictions auxquelles il s'expose depuis son plus jeune âge. Puis, devenant vieux et en passe de confondre la pilule bleue avec le comprimé Pfizer, il ne peut plus souffrir que, par exemple, Rudy Baylor et Michael Clayton perdent leurs combats contre les profiteurs de la misère humaine. Ces mêmes hydres dont il est devenu l'esclave et chez qui il émarge pour payer la pension alimentaire .

« Au fait, tu devais pas aller voter cet après-midi ? »

« M'en fous... et puis je voudrais te montrer un autre film. »

dimanche 21 mars 2010

"Riez !", "Pleurez !", "Tremblez !", "Applaudissez !"

Après des mois de travail herculéen, durant lesquels des professionnels talentueux ont accompli le miracle d'œuvrer de concert à la réalisation d'un même projet, l'architecte et chef des travaux décide de faire appel à un dernier artisan : le compositeur de musique de film. Là où chacun avait donné le meilleur de son métier pour, au hasard, exprimer une émotion subtile par un geste délicat, par une touche de maquillage, par la mise en ombre ou en lumière d'une partie de l'image ou par un mouvement de caméra à peine perceptible, le compositeur va, dans le meilleur des cas, ajouter une voix supplémentaire à la polyphonie jusque-là élaborée.

Cela ne se passe malheureusement presque jamais comme cela. En fait, depuis Max Steiner, qui est le père spirituel de 99% des compositeurs de musique de films hollywoodiens depuis plus de 80 ans, le métier de compositeur est l'équivalent cinématographique de celui de ravaleur de façade et de chauffeur de public d'émission télé.

Depuis l'arrivée du parlant, la plupart des créateurs de films ont toujours été persuadés que leur public était composé de mutilés de l'âme, incapables de ressentir une émotion ou de comprendre une intention de mise en scène sans que celles-ci soient annoncées ou appuyées par un fracas de cymbales, un martellement de percussions ou une armée de violons. Le genre de public à qui il serait nécessaire de rajouter des phylactères ou des flèches directionnelles sur La Ronde de nuit ou La Bataille de San Romano. La plupart du temps, les musiques de films sont donc du niveau de l'habillage sonore des cartoons.

Fiction : Un réalisateur hollywoodien a décidé d'adapter un classique de la science-fiction et a demandé, entre autres, à son chef-décorateur, son responsable des effets-spéciaux et son sound-designer de travailler à la séquence de destruction apocalyptique la plus réaliste et impressionnante jamais réalisée. Après des mois de labeur inspiré et intensif, l'aréopage de surhommes accouche d'un "bas-relief" splendide et saisissant. Il ne fait aucun doute que la séquence est terrifiante et constituera une date dans le genre. Mais tout comme le réalisateur n'a aucune confiance en son public, il en a très peu dans les images et les sons et n'a jamais remis en cause le fait qu'ils soient systématiquement accompagnés, submergés, noyés par la déferlante sonore d'une Grosse Bertha symphonique. Le magnifique bas-relief voit ses interstices envahis par la boue, la lave ou la guimauve vomies par les violons et les cors et, bientôt, plus rien ne respire, plus rien ne vit, tout se pétrifie, comme le cerveau et le cœur du spectateur sidéré par ce flux mélodique incessant et abrutissant. Les enfants de Steiner ont pompéifié le travail de leurs collègues.

Avec les nouveaux supports numériques (DVD et a fortiori Blu-Ray), on se prend parfois à rêver de voir appliqué aux films ce qui existe depuis longtemps pour les jeux vidéo : la possibilité de mixage a minima de 2 ou 3 composantes de la bande sonore. Avec le curseur "Musique" enfin sur zéro, on pourrait, au moins chez soi, faire disparaître une bonne fois pour toutes : John Williams, Alan Silvestri, James Horner et tous les autres (Thomas) Wanker.

samedi 20 mars 2010

Miscellanées II (billets initialement publiés sur Facebook)


The Devil's Rejects (2005)


(Publié le 22 février 2010)

En voilà un dont on n'attendait cinématographiquement rien et qui, après deux premiers films surprenants, nous a prouvé qu'on avait eu raison. Pourtant, même s'il est gangréné par 1 ou 2 scènes au comique lourdingue incongru et un final ridicule, le deuxième film de Rob Zombie offrait beaucoup d'occasions de bicher ferme et donnait à espérer que la relève était là, qui, avec Tarantino et Rodriguez, allait œuvrer à la résurrection des grindhouse flicks. Les frères Weinstein avaient d'ailleurs cru flairer le bon bourrin à intégrer dans l'écurie. La suite leur prouvera que non. Certes, on pouvait déjà sentir dans ce Devil's Rejects, que RZ avait une fâcheuse tendance à partir un peu dans tous les sens pour arriver nulle part. Cependant, à la différence de la bouillie infâme que sont les 2 remakes du Halloween de Carpenter, The Devil's Rejects est un joli petit film "à la gloire" du White Trash, servi par une photo et un sens de la composition plus que surprenants pour le travail d'un quasi-débutant. Le casting aussi est remarquable et fait montre d'une connaissance et d'un amour du cinéma de genre solide et sincère. Outre la présence de Sid Haig, Danny Trejo et Geoffrey Lewis, on y apprécie l'utilisation d'un talent honteusement sous-exploité : William Forsythe (inoubliable dans des films comme American Me ou The Lightship). Beaucoup d'efforts donc pour essayer de rendre "sexy" (et attachants ?) une bande d'assassins, violeurs, nécrophiles, poursuivis par un shérif ivre de vengeance et prêt à tout pour les arrêter. Outre le Free Bird des Skynyrd qui clôt le film, on entend au générique de début le Midnight Rider des frères Allman. Un magnifique écrin pour ce qui n'est certes pas le joyau de la décennie, mais une balise à ne pas rater pour tout amateur de road-chase-revenge-gore movie.

Une Affaire privée (2002)

(Publié le 15 février 2010)

Depuis que je fais mon malin sur ce mur pour des bienveillants triés sur le volet, je me suis rarement donné l'occasion de clamer par l'exemple mon amour pour le cinéma français. Et pour cause. Il y a encore dix ans, je suivais avec goût des Desplechin, ainsi que des... et des... Bon, quoi qu'il en soit, depuis son Conte de Noël, même le Nono, j'ai décidé de ne plus le suivre que de loin. Et si je garde toujours un oeil sur ce que font Gaspar, Jan et Mathieu K et la génération "émergente" des cinéphages nourris à Starfix, L'Ecran fantastique et Mad Movies, il y a un cinéaste français (écrivain également, paraît-il) que j'ai toujours envie de citer quand j'en viens à discuter de ciné hexagonal, c'est Guillaume Nicloux. Passons d'emblée sur son excursion désastreuse dans l'univers de Grangé, pour citer ses 4 autres films (faciles à louer ou à acheter en discount online) : Le Poulpe, Une Affaire Privée (mon préféré), Cette Femme-là et La Clé. Sous influence totale d'un cinéma 60s et 70s français où les dialogues étaient rois et incarnés par des "gueules", Nicloux est un virtuose de la plume, qui n'en néglige pas pour autant l'esthétique de ses films. Cette Femme-là, photographié par PW Glenn (qui se souvient de Terminus ?), est un magnifique film terriblement noir, qui excelle dans l'art du contre-temps, flirte délicatement avec le fantastique et nous traîne dans une France glauquissime fascinante. Si le fil narratif n'est malheureusement pas à la hauteur de la photo, des dialogues et de certaines scènes, ce film reste en mémoire et encaisse sans sourciller un multiple visionnage. Une Affaire Privée, lui, fait un quasi sans fautes, avec un Lhermite transformé en loser tragique, jouant un détective privé qui enquête sur une disparition. Naviguant entre une bourgeoisie moribonde et des milieux interlopes inquiétants ou grotesques, on reste captivé du début à la fin, sans poursuite en bagnoles, sans gunfight et sans scène avec yamakazi. Là encore, les situations en apparence les plus plates ou incongrues donnent lieu à des dialogues magistraux, interprétés par un casting de première bourre. Avec son Scènes de Crimes, en 2000, Frédéric Schoenderffer avait également commencé à tracer le sillon d'un nouveau polar français adulte qui, tout en maîtrisant les codes d'un genre largement créé par le ciné US, n'hésitait pas à ancrer ses histoires dans une France fictionalisée crédible.

Way of the Gun (2000)

(Publié le 8 février 2010)

A l'heure des bilans décennaux, j'en remets une couche dans la célébration du western urbain contemporain avec le premier et seul film de Christophe mcQuarrie, scénariste de Usual Suspects. Ultraréférentiel, avec des hommages qui vont des Professionnels de Brooks au premier Hitcher en passant par Peckinpah et le Butch Cassidy de Roy Hill, le film possède malgré tout une cohérence esthétique et scénaristique qui en font, à mon avis, l'un des films indispensables de ces dernières années. Alternant scènes d'action et moments (faussement plats) dialogués à la Tarantino, le film est en grande partie un road-movie qui accumule les stéréotypes des genres qu'il aborde pour essayer de les retourner sur leurs versants les plus prosaïques (Tarantino again ?) et donc les plus inattendus. Sur ce plan, la séquence du shoot-out final est d'anthologie. Enfin, la musique du film (référence évidente au film de Brooks précité) est superbe et terriblement efficace dans un registre minimaliste qui permet d'échapper au cancer symphonique qui ronge 95% de la production cinématographique occidentale.

vendredi 19 mars 2010

Saints

Une sélection de billets postés sur mon mur Facebook entre janvier et mars 2010 :


Eye-Popping Day (le jour de la Ste Olive)

(Initialement publié le 5 mars 2010)

A la Ste Olive, chérie du marin borgne, je souhaite célébrer l' « eye-popping », figure de style rare mais réjouissante du film d'horreur. En 1987, dans son grand cartoon live gore (Evil Dead 2), Sam Raimi confectionne une succession de 2 ou 3 plans qui deviendront anthologiques. Une morte-vivante s'y fait écraser la tête par une trappe, ce qui provoque l'éjection de son œil qui - si mes souvenirs sont bons – finit gobé par une des protagonistes. 21 ans plus tard, le japonais Ryûhei Kitamura en remet une couche, à coup de masse de boucher, dans son Midnight Meat Train (MMT). Fini l'héritage de papy Georges et du trucage mécanique, optique et prothétique, la nouvelle génération des goreux – comme tonton Sam avec son Spider-man horriblement synthétique – a adopté les effets numériques avec des résultats tout à fait aléatoires. Dans le cas du MMT, les scènes de tuerie dans le wagon de nuit font partie de mes dernières grandes séances de plaisir « adolescent ». L'impact de ces scènes est tel que le film arrive à tenir plus ou moins debout sur toute sa durée, malgré un scénario bien trop sage et des personnages taillés à la serpe. Pour un double-programme de fin de semaine, façon revival des Nuits de l'horreur des cinémas de notre jeunesse, je conseille de coupler le Kitamura avec la dernière production de Raimi : Drag Me to Hell. Le grand pote des frères Coen s'y livre, dans une voiture cette fois, à un « denture-popping ».

Hal Hartley (le jour de la St Vivien)

(Initialement publié le 10 mars 2010)

Je ne vais pas jouer les butors et vous dire que, franchement "ma chère", j'en ai rien à faire de Vivien Leigh, mais franchement... Je n'ai jamais éprouvé le désir de revoir Gone With the Wind et le Tramway de Kazan, pour moi, s'appelle "ennui". Sur Wikipedia, je peux lire qu'elle a été oscarisée pour ces deux rôles. Me voilà empli d'une joie éternelle ! Comme si les oscars pouvaient revêtir une quelconque importance aux yeux d'un amoureux du cinéma ! Une armée de feignasses qui ne doivent voir que 3 ou 4 films par an et filent systématiquement la majorité des prix à l'un de ceux-là. Un cauchemar sans nom. Imaginez que vous draguiez une meuf et, une fois chez elle, vous remarquez que sa discothèque est remplie des Victoires de la musique classique et sa bibliothèque des prix littéraires de ces 20 dernières années. Nul doute qu'au repas, cette créature de rêve vous sortira un vin médaillé d'or au Concours de la ville de Paris. C'est bon, calmez-vous, je déconne. Ce genre de choses n'arrivent jamais. A part peut-être aux lecteurs de Télérama, les Inrocks, Première... Et Vivien alors ? Ben, en fait, Wikipedia m'apprend aussi qu'elle ne s'appelait pas Leigh mais Hartley. Hé oui, comme Hal, le réalisateur de Trust, Unbelievable Truth, Amateur et... Simple Men ! Voilà qui me permet donc de finir en beauté avec une scène inoubliable de ce dernier, inspirée d'une scène de Bande à part de Godard.

Philip Seymour Hoffman (le jour de Ste Félicité)


(Initialement publié le 7 mars 2010)

Le jour de la Ste Félicité, je fouille dans ma mémoire et me souviens que j’ai vu
un film de Todd Solondz qui s’appelle « Happiness », mais que ce film et le reste de sa courte filmographie m’ont beaucoup moins marqué que les réalisations de l’autre Todd : Haynes. Je me rappelle vaguement que le film aborde le thème de la pédophilie, mais j’en ai à peu près tout oublié, si ce n’est que celui que je considère comme le meilleur acteur américain du moment y tient un rôle. Pour moi, Philip Seymour Hoffman naît au cinéma dans le Lebowski des Coen et impose d’emblée une vraie présence comique malgré sa brève apparition. Avec son physique atypique, il pourrait sembler taillé pour les rôles de bon gros décalé abonné aux comédies. Pourtant sa composition émouvante de l’aide à domicile de Jason Robards dans
Magnolia met les pendules à l’heure et il est clair dès lors que le
ciné US tient là un futur grand. Ce qu’il ne cessera de confirmer dès
son incarnation fulgurante de Lester Bangs dans Almost Famous et au fur et à mesure d’une filmographie essentiellement composée de seconds rôles impressionnants (Cold Mountain, Charlie Wilson’s War) ; toujours crédible et sacrément dense, même quand il interprète un méchant à la James Bond dans le Mission : Impossible 3 de Abrams. Depuis son rôle à Oscar dans l’ennuyeux Capote, il accède à des rôles principaux et, l’an dernier, il est choisi par Charlie Kaufman pour mener pendant 2 heures
ce qui est pour moi la belle surprise de 2009 : Synecdoche, New York.

Stephen Frears (le jour de Ste Colette)

(Initialement publié le 6 mars 2010)

J’ai découvert Frears en 1984 au Cinématographe de Perpignan, 25 ans avant qu’il adapte Colette avec son ex-Mme de Tourvel. The Hit me marqua beaucoup à l’époque. Un film noir solaire par sa situation géographique, avec une bande musicale envoutante de Paco de Lucia et un casting british de poids : Roth, Hurt et Stamp... Deux ans après son rôle dans Made in Britain, Roth bouffait à nouveau l’écran. Frears est un remarquable artisan et, ces dernières années, son adaptation du chef d’œuvre de Hornby et son The Queen ont prouvé qu’il ne perdait pas la main. Pour autant, je n’ai jamais discerné la cohérence de sa filmographie, la veine centrale au cœur de son œuvre. Après 1988, il entame une carrière américaine et là s’enchaînent des œuvres de commande de qualité (variable), sans que je n’y retrouve jamais l’énergie rebelle de ses Laundrette, Prick Up et Sammy & Rosie. Quant à Roth, il n’a jamais vraiment chômé depuis son premier rôle de Trevor le skin et a réussi à se faire inviter dans quelques films remarquables : Reservoir Dogs, Le Cuisinier de Greenaway, l’excellent Vincent & Théo d’Altman, ainsi que Little Odessa, le premier Gray. Beaucoup d’errances, de seconds rôles (parfois remarquables), pour finir dans une série télé en précurseur du Mentalist : Lie to Me. Petite série distrayante dans sa première saison, où le Timmy, en roue libre, se complait dans ses tics d’acteur habituels : démarche chaloupée, grimaces incessantes…

Usual Suspects (le jour de la St Casimir)


(Initialement publié le 4 mars 2010)

Usual Suspects débute sur le Casimir Pulaski, dont c'est - tout comme au cousin d'Isidore - la fête aujourd'hui. Ecrit avec une intelligence rare par Christopher McQuarrie, ce parangon du film à twist a, entre mille autres choses, la particularité de m'avoir fait découvrir l'exceptionnel Benicio del Toro. Au milieu d'un casting qui l'est tout autant, le jeune Porto-ricain (alors bien mince) illumine la scène inoubliable du « Hand me the keys, you fuckin cocksucker! » Les moments brillants abondent dans ce qui sera peut-être un jour un classique, mais il y a dans l'écriture de McQuarrie un point qui me touche particulièrement, c'est le génie onomastique. Cherchant sûrement à surprendre l'oreille d'un public anglo-saxon, il puise dans le réservoir d'Europe de l'Est pour forger par exemple le nom de celui qui deviendra l'un des méchants les plus célèbres de l'histoire du film noir : Keyser Söze. Certains personnages ont également des noms qui accrochent(avec une prédominance des sonorités en [K]) : Keaton, Kujan, Kobayashi. Deux autres ont des noms de peintre (ou presque) : Hockney, Kint. Enfin, le seul personnage féminin important porte quasiment le nom du célèbre personnage de Joyce. Cette omniprésence de la sonorité [K] peut être soit expliquée par le patronyme du scénariste soit par... autre chose. Bien sûr, cela n'est pas gratuit et les noms ont un rôle important dans l'histoire, mais leurs sonorités participent, je trouve, de la plus belle manière à l'habillage d'un film en de multiples points exceptionnel.

Julianne Moore (le jour de St Guénolé)

(Initialement publié le 3 mars 2010)

Julianne Moore a été choisie à deux reprises récemment pour jouer dans des films catastrophe que n'aurait pas reniés le saint du jour : Guénolé de Landévennec. On peut lire en effet sur Wikipedia que ce saint a rendu – dans des circonstances certes rocambolesques - la vue à sa petite soeur et qu'il était également considéré... comme le saint à prier en cas de problèmes de stérilité. Outre que « moore » vient du mot « lande » en anglais et que G de Landévennec kiffait mortel St Patrick, la belle Julianne a donc joué dans Children of Men (humanité devenue stérile) et Blindness (humanité devenue aveugle). Ce dernier film, réalisé par Meirelles(l'homme de Cidade de Deus), souffre de quelques longueurs et d'une mise en place un peu laborieuse, mais toute la partie située dans le camp de rétention sauve le film et lui donne une force et une dimension appréciables. L'autre grand atout du film réside dans le choix d'une photographie extrêmement désaturée, où l'image semble brûlée, rongée par les blancs, parfois jusqu'à la limite de la disparition. Aux dernières nouvelles Roland Emmerich aurait contacté Moore pour jouer dans son prochain film catastrophe, dont le sujet semble quelque peu tiré par les cheveux. Un virus attaquerait les démocraties occidentales et pousserait leurs citoyens à élire des avortons néo-cons arrogants parcourus de tics nerveux incessants.

Verhoeven (à la St Charles le Bon)

(Initialement publié le 2 mars 2010)

Charles le Bon, saint du jour, s'est tapé les croisades. Les croisades au cinéma, sans recourir à Google ou Imdb, c'est des vieux souvenirs télé de Gassman en Brancaleone, un des derniers étouffe-chrétien de Ridley Scott (plus inspiré quand il fait American Gangster) et bien sûr Flesh & Blood de Verhoeven. Je n'ai jamais compris que l'on brûle autant d'encens en l'honneur de ce cinéaste. A l'exception de Starship Troopers et du regardable Black Book, je n'ai souvent vu dans ses films qu'un étalage de mauvais goût - qui ne paraissait pas toujours volontaire - et une réalisation rarement à la hauteur de l'intention. Force est toutefois de reconnaître que l'intention et l'ambition étaient là et permirent enfin en 1997 à Verhoeven d'accoucher d'un monument du film de SF-teen-monstre-guerre-gore : Starship Troopers. Habillé de superbes effets spéciaux (à la différence d'un Total Recall en partie ruiné par des SFX faiblards), le film est un grand divertissement accompagné en sous-texte d'une charge politique peu subtile mais réjouissante contre l'impérialisme US. Interprété pour les premiers rôles par de jeunes acteurs peu connus, le film ne brille certes pas par sa direction d'acteurs, comme la plupart des films du cinéaste batave, mais peu importe tant les véritables "héros" du film sont les Arachnides, dont le spectateur attend chaque apparition avec impatience, comme le gamer attend celle d'un Boss dans un shoot'em up.

Romeo is Bleeding (à la St Roméo)

(Publié le 25 février)

Au moment où sort le Scorsese, je pouvais jouer les opportunistes et filer direction Vérone pour saluer la belle adaptation qu'avait faite Baz Luhrmann du drame shakespearien. Mais autant le dire tout net, je trouve que la collaboration Scorsese-Caprio n'a pour l'instant rien donné de vraiment remarquable et Moulin Rouge est un tel ratage que je n'ai pas trouvé l'énergie pour jouer les bons samaritains 2 fois dans la même semaine. En revanche, il y a un cinéaste dont je n'ai vu qu'un seul film et que je ne suis pas près d'oublier, c'est Peter Medak. En 93, il met en scène Oldman, Olin et Scheider dans une comédie noire hard-boiled, mixant à tombeau ouvert et avec force violence le film de mafia, le film de flic corrompu (si, si, c'est un genre !) et le drame sentimental. Lena Olin y est le magnifique trou noir d'un casting déjà assez classieux. Ellle incarne une hitwoman indestructible (ou presque) et sexuellement irrésistible ; personnage préfigurant celui qu'elle tiendra dans la série Alias. Superbement photographié par celui qui créera la photo du Dark City de Proyas, je trouvais à l'époque que le film souffrait d'une légère claudication, provoquée par des scènes proleptiques filmées dans un style plus "neutre" que le reste du film. Un syndrôme Blade Runner version 1.0 en quelque sorte, ce qui n'est pas la pire des comparaisons pour un film noir qui a lui aussi opté pour une voix (indispensable ?) de narrateur en off. Dernier petit détail (pour vous peut-être, mais pour moi ça veut dire beaucoup) : le titre du film est tiré d'une chanson d'un des plus beaux albums de Tom Waits.



Werner Herzog (à la Ste Bernadette)


(Initialement publié le 18 février 2010)

"Tu l'as vu, hein, tu l'as vu ?" La petite Soubirous, elle en tout cas, elle l'a vue, et pas qu'une fois, d'après ce qu'en dit l'Histoire. Pas de buisson ardent (sinon Dorcel aurait déjà pondu une adaptation), juste une grotte, ce qui est symbolique pour celle dont le prénom vient du mot "ours". Les ursidés au cinéma, c'est surtout le Annaud et un Herzog récent (Grizzly Man). Ce dernier je ne l'ai pas vu et s'il est aussi mauvais que son Bad Lieutenant : Port of Call, c'est mieux ainsi. Il faut dire que, à part le docu sur ses relations avec Kinski, je ne me suis jamais senti trop d'affinités avec le cinéma de Werner. Mais je suis prêt à parier que la racine de son patronyme a joué un rôle important dans sa volonté de réaliser, en 1976, un film qui s'intitule "Herz aus Glas". "Heart of Glass", c'est également un titre enregistré en 75 puis 78 par le groupe Blondie, dont la chanteuse, comme tout le monde le sait, n'est autre que la délicieuse Niki Brand de Cronenberg : Deborah Harry. Ce que l'on sait moins en revanche, c'est que Déborah vient du mot "abeille" en hébreu. C'est là que je me dis que, pour aujourd'hui, la boucle est bouclée.

jeudi 18 mars 2010

2010 : Eyes Less Shut

Quand on est adolescent au début des années 80 dans une France post-Giscard, le cinéma se fantasme parfois parfois plus qu'il ne se vit. Je n'ai jamais autant idolâtré Kubrick qu'en dévorant l'iconographie du livre de Michel Ciment et avant d'avoir vu la plupart de ses films. J'avais été exposé, très jeune, à Shining et avais entendu dire que Kubrick était le plus grand cinéaste du monde. J'étais trop jeune pour relever l'ineptie d'un classement mondial des cinéastes, mais j'avais quand même supputé que l'homme au nom de cube n'avait sûrement pas décroché cette médaille grâce à cette chose grotesque dans laquelle Nicholson baissait la tête et fronçait les sourcils pour jouer le gars perturbé psychologiquement. Posture ridicule et outrée que le Stan n'hésitera pas à recycler avec D'Onofrio dans son film sur les films sur le Vietnam.

Encore vierge donc et m'enivrant des photogrammes et des photos de tournage du livre de Ciment, je pouvais imaginer les merveilles que devaient être 2001, Les Sentiers de la gloire, Barry Lyndon et me dire que je ne serais plus le même homme une fois que mes rétines auraient été impressionnées par ces créations quasi-divines. Un âge de l'innocence où je n'avais pas encore dû endurer le kitsch de Orange mécanique et ce taedium filmae qu'est Lolita. Le dépucelage prit quelques années et il y eut aussi des moments d'extase : dans les tranchées, dans l'espace et dans l'Irlande de Thackeray.

Il y a quelques jours, je tombe par hasard sur le Stanley Kubrick d'un certain John Baxter et, contre toute attente, le même ensorcellement (sans photos cette fois) se produit. Les anecdotes sur la vie et la personnalité du New-yorkais constitueraient-elles un mythe dépassant son oeuvre ? En tout cas, je ne suis plus dans la France de Mitterand et je peux maintenant, quand le doute me saisit, filer vers ma vidéothèque et vérifier que – au hasard - Dr. Strangelove, malgré ses anecdotes de tournage, ses décors et son noir et blanc impeccable, est toujours d'un humour aussi consternant.

Un gros regret cependant m'étreint : le king of control n'a pas vécu assez longtemps pour empêcher le désastre qu'est la mastérisation DVD de Barry Lyndon. Les scènes à la chandelle sont pour l'instant condamnées à n'être jamais aussi belles qu'en photos, figées dans le Ciment. Du coup, je pourrais continuer à feuilleter le livre en me passant les musiques du film en fond sonore. Et là, il faut reconnaître que, à partir de son Odyssée de l'espace, Kubrick devient un master DJ, un as de la compile. Terrence Malick, peu inspiré avec son Pocahontas, a d'ailleurs cru qu'il suffisait de convoquer Wagner et Mozart pour s'élever au niveau du maître. Avec Full Metal Jacket, Kubrick poussera quand même le bouchon du recyclage un peu loin en « empruntant » l'utilisation qu'avait faite Schoendoerffer du Boots de Nancy Sinatra dans son Section Anderson. Mais Barry Lyndon n'est pas un film aussi fermé, formel et formol que les trois suivants et occupe toujours une bonne place dans ma playlist.

Je tourne encore une fois les feuilles du Ciment : The Killing, Spartacus, Lolita, Barry Lyndon, The Shining... Kubrick ne s'est jamais vraiment torturé pour trouver les titres de ses films et a presque toujours opté pour la concision, la simplicité ou le nom du personnage principal. Ses titres les plus originaux et mémorables, il les a empruntés à Burgess et Stephen King. Jusqu'à ses deux derniers films, où il décide finalement de passer des titres à 1 ou 2 mots à des titres énigmatiques et quasiment acronymiques : Full Metal Jacket et Eyes Wide Shut. L'hermite ferme ainsi la boucle, entamée en 1968, d'un cinéma de l'esprit plus que de la chair, avec deux titres qui renvoient immanquablement à HAL (lui-même forgé à partir de l'acronyme IBM) et à la post-humanité à laquelle ce dernier essayait d'accéder par le meurtre.

mardi 16 mars 2010

Miscellanées (billets initialement publiés sur Facebook)

Hush

(Publié le 9 mars 2010)

Il arrive assez souvent que l'on aime un film pour une heure, une scène, voire 2/3 plans. En principe, dans les deux derniers cas, à moins de s'appeler Desplechin (Cf. son interview à Télérama au moment de la sortie de son Conte de Noël), on précise toujours à son interlocuteur que l'on a pas aimé le film mais son début, son milieu, une scène, etc. Il serait intéressant de faire un florilège thématique de ces films, mais j'ai la flemme. Et à quoi bon, vu que la plupart des scènes ou des parties seraient introuvables sur Youtube et le principe même d'une telle anthologie découragerait quiconque de louer, acheter ou voler lesdits films, qui n'auraient été collectés que pour la seule raison de n'être que partiellement bons. Je vais quand même me montrer aussi magnanime et partageur (et modeste) qu'à mon habitude et vous conseiller de jeter un oeil sur un petit film anglais qui est comestible de bout en bout, mais particulièrement savoureux au début. Ce film s'appelle Hush et il a été réalisé par un certain Mark Tonderai.


Things to Do in Denver when You're Dead (Dernières heures à Denver)

(Publié le 8 mars 2010)

Gary Fleder reste pour moi inoubliable grâce à son Things to Do in Denver When You’re Dead (Dernières heures à Denver en vf). Je ne ferai aucun commentaire sur le reste de sa filmo, exclusivement télévisuelle, qui a de toute façon, pour l'essentiel, échappé à mon radar. Découvert par le plus grand des hasards sur Canal... un soir de garde d’internat, ce Denver est le miracle issu de la collaboration de deux quasi-inconnus qui, avec l’aide d’un casting de rêve (Walken, Garcia, Forsythe et un incroyable Treat Williams…), mettent impeccablement en images un film noir talentueux et bourré d’idées. Partageant quelques points communs avec Usual Suspects, Denver cherche toutefois moins la virtuosité et emprunte un chemin plus simple et direct. Chaque personnage de cette dream team est traité avec respect et avec une impression de profondeur. Walken cabotine presqu’autant qu’à son habitude (avec impossibilité du rituel pas de danse ce coup-ci) mais il projette son ombre maléfique sur tout le métrage et rend crédible l’enchaînement tragique qui emporte les autres personnages. Trois fils narratifs au moins (dont 2 histoires sentimentales !) s’entremêlent pour aboutir à une scène de vendetta inattendue et très politiquement incorrecte. L'un des points communs superficiels entre le scénario de Rosenberg et celui de McQuarrie, c'est l'attention prêtée aux noms des personnages. Dans le film de Fleder, les protagonistes ne sont identifiés que par des pseudos imagés et facilement mémorisables, qui trouvent leur explication dans le passé ou dans un trait de caractère du personnage. Treat "Prince of the City" Williams, par exemple, tient le rôle de Critical Bill, un croque-mort azimuté qui s'entraîne au sac sur les cadavres qu'il est censé mettre en bière, avec Johnny Cash en fond sonore. Il est l'élément incontrôlable qui va provoquer l'ire inextinguible du tout puissant Man with The Plan. Denver, c'est peut-être une variation moderne sur les archétypes de la tragédie grecque ou une adaptation très libre et urbaine du Wild Bunch de Peckinpah. Un film sur la fidélité et l'engagement, surtout quand il n'y a plus rien à gagner ni à perdre. Un film sur la trace, le legs et sur l'impossibilité, quand certaines voies ont été empruntées, de battre en retraite ou tout simplement de la prendre.

The Cooler et Running Scared


(Publié le 8 mars 2010)

Le réalisateur du jour a attendu le 21e siècle pour pondre 2 films noirs remarquables : l'un en 2003 (The Cooler, Lady Chance en vf), l'autre en 2006 (Running Scared, La Peur au ventre en vf). Deux films bien différents, qui ne correspondent sûrement pas au même public, avec un traitement classique pour le premier - basé sur un scénario très malin et un casting en béton - puis un trip à visée essentiellement esthétisante – une sorte de bande démo - pour le deuxième. The Cooler est situé dans le milieu des casinos à Las vegas et est tenu de bout en bout par une écriture solide et 3 acteurs impeccables : Macy, Bello et Baldwin. Bref, la base idéale d'un TP pour tous les apprentis scénaristes qui rêvent de créer un cinéma de genre français capable de rivaliser avec les œuvres des maîtres ricains. Quant à Running Scared, avec le sous-utilisé Chazz Palminteri, c'est une tout autre affaire. Décomplexé au point d'enfiler les dialogues et les situations lourdingues et vulgaires, ce film possède cependant une énergie, une hargne et une inventivité visuelle qui ont emporté mon adhésion à l'arrachée (et en me bouffant pas mal d'énergie) quand je l'ai vu sur grand écran la première fois. La Peur au ventre a les attributs du film d'exploitation avec les moyens d'une série A. Depuis que je l'ai en DVD en revanche, je n'arrive pas à le revoir de bout en bout et je le sens condamné à de futurs visionnages en mode « shuffle » ou mode « single », pour utiliser une métaphore discographique. Justement, pour finir sur cette note musicale, le réalisateur du jour s'appelle Wayne Kramer et je précise déjà, à l'attention de Christian Faure, qu'il ne s'agit pas de l'un des créateurs du White Panther Party.

lundi 15 mars 2010

No Glory Anyway

(Publié initialement sur mon mur FB le 12 mars 2010)

M'infliger une révision du dernier Tarantino m'a au moins conforté dans une opinion que je mûris depuis quelques mois : les duels d'opinion entre cinéphiles doivent définitivement être décrétés révolus. Se friter la tronche avec les gardiens du temple mctiernanien pour tenter de tiédir leurs ardeurs par des arguments pesés et précis ou s'emporter sur l'absence de recul que peuvent avoir les vendeurs de papier de Versus, qui se servent des oscars pour habiller leur vitrine facebookienne, est non seulement peine perdue, mais cela n'apporte en général qu'opprobre aussi infondée que celle qui frappe le malheureux philosémite opposé à la politique du gouvernement israélien. Peine perdue donc, car la plupart d'entre nous croiraient montrer de la faiblesse en s'avouant (même partiellement) convaincu par celui qui arriverait à leur démontrer que, par exemple, Inglourious Basterds est un bon film. Nous sommes là clairement dans le cadre du "pissing contest" adolescent qui consiste à s'affirmer par le biais des œuvres artistiques que l'on admire ou déteste. Le problème est que cette maladie dure bien souvent toute la vie et que les joutes verbales entre cinéphiles sentent souvent la volonté d'humiliation des Brutus dans les vestiaires avant les cours d'EPS. Crainte (justifiée) de l'opprobre ensuite, car vous n'avez guère de chance d'échapper à l'étiquette "anti-ciné hollywoodien" si vous attaquez certaines idoles comme le McT précité, ou la dernière production cameronienne, voire émettez des critiques sur le fait que les oscars n'ont rien à voir avec le Cinéma, mais tout avec le marketing.

Mais je n'enfile là que perles peu originales, j'en conviens. Venons-en donc au dernier Tarantino. Tout dans ce film - à l'exception d'un plan (et encore !) et du début de la scène d'interrogatoire dans la ferme - me semble vide, sans aucune idée de cinéma, artificiellement bourré de tunnels dialogués sans fin (accumulant les tics tarantiniens à l'envi) et surtout réalisé comme un téléfilm propre sur lui (je fais des efforts de retenue) avec une direction d'acteurs démissionnaire. Certaines séquences semblent avoir été filmées par Besson, ce fan absolu de la focale courte, à la limite du fish-eye. Est-ce la conception d'un filmage à la française pour QT ? LB représentant de la qualité française. Il faut dire que tous les Tarantino (à part, peut-être, Reservoir Dogs) souffrent d'une mise en image lisse, pubarde et criarde. Et ce n'est pas son association avec l'ancien directeur photo d'Oliver Stone qui a arrangé les choses. QT est peut-être un conteur, un dialoguiste mais il n'est pas un faiseur d'images marquantes ; là encore, peut-être, à l'exception de certains plans de Reservoir Dogs et Kill Bill, avec le même problème de photographie pour ce dernier.

En 5 ou 6 étapes sur 1 semaine je refais donc le périple IG pour comprendre ce qui fait que des gens de goût et de culture ont adoré ce film. Moins irrité qu'à la première vision, je reçois à 2 reprises des signaux (ultra-brefs) de plaisir à des passages inattendus (vue ma réaction en salles) : quelques secondes dans la taverne ; la projection du visage de Shosanna sur le nuage de fumée (seule véritable idée de cinéma du film). Pour le reste, je reste sur mes premières impressions.

Finies donc les joutes verbales et les concours de bites dans les vestiaires. Je n'ai sûrement pas saisi ou suis imperméable à ce qui est l'esprit de ce film. Il est vrai aussi, comme me l'a fait récemment remarquer un ami FB, que les guéguerres sont souvent provoquées par un vague sentiment d'injustice ressenti par certains envers les monstres hyper-markétés et surestimés (chaque année en a son lot). Avec ce besoin de détruire les (faux) prophètes et leurs idoles. La machine à propagande a besoin de discriminer outrageusement pour encenser et le cinéphile agacé se sent en devoir (légitime ?) de nuancer, de disséquer et aussi d'attirer le regard des hypnotisés vers ce qui lui semble négligé et pourtant souvent meilleur. Au pays de la francisque et de la légion d'honneur, il y en a aussi qui pensent que Cinéma et récompenses ne font pas bon ménage. Qui pourrait croire, même si le film est excellent (et il l'est), que The Hurt Locker est le seul film de l'année qui mérite toutes ces statuettes à la con ? Qui pourrait croire aussi que la photo d'Avatar soit la meilleure de l'année ? On pourrait d'ailleurs dans ce cas suspecter les oscars d'aimer les canulars. Qui pourrait croire enfin que Tahar Rahim est le meilleur acteur français de l'année ? Il est bien dans tout le début du film, justement quand Audiard utilise le fait qu'il ne soit pas encore un acteur. Ensuite, il n'évolue pas, garde toujours son air de poupon légèrement ahuri et n'arrive pas à incarner (au sens propre du mot) le caïd qu'il est censé être devenu. Meilleur espoir ? Putain, pourquoi pas le tableau d'honneur et les félicitations du conseil de classe aussi !

Finies les guéguerres donc mais pas les critiques, la glose, le discours, le blah blah. Le but ne serait plus de convaincre mais au moins d'être convaincu. En attendant de devenir plus sage et d'être capable d'écouter les arguments des autres sans peur de se voir retourné, contaminé, convaincu. Avec, peut-être encore, à l'esprit ces propos de Proust, trouvés en exergue dans Littérature Monstre de Pierre Jourde (p. 341) :

"Je n'admets pas qu'on juge un auteur sur son dessein et non sur son livre. Et quand je vois tel écrivain à la mode aujourd'hui entasser les volumes et s'entendre louer pour ses intentions généreuses, sa profondeur de vues, mais à chaque phrase ne pas trouver la métaphore qu'il faut, faire un tour immense mais ne jamais pouvoir sauter le fossé, je déplore qu'aujourd'hui l'intention soit ainsi tenue pour le fait."

Souvenirs d'une cinéphilie sulfurique (le jour de la Ste Justine)

(Publié initialement sur mon mur FB le 12 mars 2010)

Quand, à l'orée des années 80, je suis devenu un vampire qui préférait passer ses mercredis et samedis aprem dans les salles obscures de la Canebière plutôt que de courir dans les collines qui surplombent St Thys, le désir d'interdit s'est très rapidement emparé de moi. Mon premier souvenir de désir impérieux d'interdit cinématographique fut Mad Max de Miller. Le film avait été "X-é" et éveillait donc tous les fantasmes qui garantissent en principe une profonde déception une fois l'acte consommé. Je pus enfin le voir à l'arrière d'une 2-chevaux dans l'un des deux drive-in catalans de l'époque. Les films interdits aux moins de 13 ans étaient également objets de convoitise intense. Grâce au père de mon complice, nous pûmes découvrir, avant l'âge autorisé, ce qui se cachait derrière l'affiche alléchante de Scanners de Cronenberg et voir des films érotiques diffusés dans certaines salles de l'avenue qui mène au bout de la terre, et qui auraient dû être poursuivies pour tromperie sur la marchandise. Cette période d'interdits prit fin vers mes 14 ans quand je pus enfin voir en vidéo le Chainsaw Massacre et les films de Romero.

Après ? Beaucoup de liberté et un appétit cinéphagique féroce, satisfait au ciné-club du foyer rural ou au Cinématographe, LA salle de Perpignan, mais plus vraiment d'interdits... jusqu'à ce que, devenu majeur, j'entende parler de Salo de Pasolini. La teneur en soufre était telle qu'ils avaient dû mettre le métrage en quarantaine dans un cinéma près de Beaubourg avec 1 séance hebdomadaire le samedi à... minuit. Là, le film était à 10 000 coudées au-dessus de sa réputation. Aucune déception, juste un sale coup de poing dans la gueule.

Depuis ? Rien, vu que l'interdit se nourrit d'invisibilité et de rareté et que depuis l'édition tous azimut en DVD et le partage des divX en peer-to-peer, tout est trouvable et consommable. Pourtant, ces dernières années, à commencer par le premier Funny Games, les films dérangeants n'ont pas manqué, qui auraient illico écopé d'un "X" sous Giscard.

Be Kind, Rewind

(Publié initialement sur mon mur FB le 15 mars 2010)

Quand on ne tient pas l'histoire du siècle, on peut toujours adopter la méthode Tarantino (avec Pulp Fiction) et complexifier artificiellement un film en foutant sans raison réelle le bordel dans sa trame narrative. C'est un peu ce qu'ont choisi de faire Nolan et Noé avec leurs Memento et Irréversible, deux des films les plus marquants de ces dix dernières années. Deux films "à rebours", à la structure étrangement proche : l'un (Memento) justifiant celle-ci par la pathologie de son personnage principal et l'autre par sa morale (rendue explicite par son titre).

A la réception, le Nolan est beaucoup plus "mind-fucking" et oblige régulièrement le spectateur à un effort intellectuel, s'il ne veut pas perdre son fil d'Ariane. Le réalisateur britannique, devenu célèbre depuis qu'il a repris la franchise Batman, travaille à lier le fond de son histoire (vengeance d'un amnésique) à sa forme dans une sorte de mise en abîme brillante. Outre la structure en "rewind", il invente cette idée géniale d'un corps-bloc-notes où les tatouages sont inversés pour pouvoir être lus face à un miroir. Un travail de virtuose qui ne permet certes pas une immersion totale du spectateur mais n'empêche pas pour autant aux personnages de prendre vie grâce au travail d'acteurs excellement dirigés.

Gaspar Noé, lui, s'ennuie moins avec l'histoire et n'innove pas sur le front narratif. Son but semble être d'aller le plus loin possible dans la représentation de la violence au cinéma et force est de reconnaître qu'il arrive - malgré des décennies sous les règnes de Romero, Craven et Cronenberg - à sortir la scène de meurtre la plus éprouvante que j'ai jamais vue. La scène de l'extincteur dans le Rectum est extraordinaire de réalisme et file vraiment la nausée. On peut reprocher certaines choses à Irréversible, mais pas de donner envie de buter tout ce qui bouge une fois le film terminé. Rien que pour cela, le film est diablement important. Bourré d'effets spéciaux invisibles, dont le but premier est de simuler des plans-séquences ou de donner l'illusion d'une caméra libre de toute contrainte, ce film souffre malheureusement d'un énorme déséquilibre entre un début atomique et une seconde moitié sans grand intérêt et à l'esthétique soap.

Je me souviens d'une interview de Verhoeven, dans laquelle il déclarait rêver de pouvoir mettre dans un de ses films hollywoodiens un plan de sexe d'homme filmé en "full frontal". Il arrive souvent aussi qu'en regardant un film, même réalisé par un grand maître, je me surprenne à penser que toute l'entreprise n'avait pour but que la réalisation de telle scène, voire de tel plan. Dans le cas de Memento et Irréversible, je ne peux m'empêcher de voir, au-delà des œuvres terminées, le détournement d'un film commercial à seule fin d'assouvir des fantasmes de cinéphiles geeks et de réaliser des cartes de visite phénoménales. Nolan savait bien qu'il jouait là son passeport pour Hollywood et a décidé de prendre la voie périlleuse de la virtuosité arty pour se distinguer du reste du troupeau. Noé, qui voulait au départ faire un film porno avec Cassel et Bellucci, s'est probablement consolé de leur refus en réalisant les scènes de meurtre et de viol les plus "rentre-dedans" de l'histoire du cinéma. Et sans cette idée d'inversion de l'histoire, Noé savait qu'il courait le risque de voir une majorité du public se barrer avant la fin.