lundi 15 mars 2010

No Glory Anyway

(Publié initialement sur mon mur FB le 12 mars 2010)

M'infliger une révision du dernier Tarantino m'a au moins conforté dans une opinion que je mûris depuis quelques mois : les duels d'opinion entre cinéphiles doivent définitivement être décrétés révolus. Se friter la tronche avec les gardiens du temple mctiernanien pour tenter de tiédir leurs ardeurs par des arguments pesés et précis ou s'emporter sur l'absence de recul que peuvent avoir les vendeurs de papier de Versus, qui se servent des oscars pour habiller leur vitrine facebookienne, est non seulement peine perdue, mais cela n'apporte en général qu'opprobre aussi infondée que celle qui frappe le malheureux philosémite opposé à la politique du gouvernement israélien. Peine perdue donc, car la plupart d'entre nous croiraient montrer de la faiblesse en s'avouant (même partiellement) convaincu par celui qui arriverait à leur démontrer que, par exemple, Inglourious Basterds est un bon film. Nous sommes là clairement dans le cadre du "pissing contest" adolescent qui consiste à s'affirmer par le biais des œuvres artistiques que l'on admire ou déteste. Le problème est que cette maladie dure bien souvent toute la vie et que les joutes verbales entre cinéphiles sentent souvent la volonté d'humiliation des Brutus dans les vestiaires avant les cours d'EPS. Crainte (justifiée) de l'opprobre ensuite, car vous n'avez guère de chance d'échapper à l'étiquette "anti-ciné hollywoodien" si vous attaquez certaines idoles comme le McT précité, ou la dernière production cameronienne, voire émettez des critiques sur le fait que les oscars n'ont rien à voir avec le Cinéma, mais tout avec le marketing.

Mais je n'enfile là que perles peu originales, j'en conviens. Venons-en donc au dernier Tarantino. Tout dans ce film - à l'exception d'un plan (et encore !) et du début de la scène d'interrogatoire dans la ferme - me semble vide, sans aucune idée de cinéma, artificiellement bourré de tunnels dialogués sans fin (accumulant les tics tarantiniens à l'envi) et surtout réalisé comme un téléfilm propre sur lui (je fais des efforts de retenue) avec une direction d'acteurs démissionnaire. Certaines séquences semblent avoir été filmées par Besson, ce fan absolu de la focale courte, à la limite du fish-eye. Est-ce la conception d'un filmage à la française pour QT ? LB représentant de la qualité française. Il faut dire que tous les Tarantino (à part, peut-être, Reservoir Dogs) souffrent d'une mise en image lisse, pubarde et criarde. Et ce n'est pas son association avec l'ancien directeur photo d'Oliver Stone qui a arrangé les choses. QT est peut-être un conteur, un dialoguiste mais il n'est pas un faiseur d'images marquantes ; là encore, peut-être, à l'exception de certains plans de Reservoir Dogs et Kill Bill, avec le même problème de photographie pour ce dernier.

En 5 ou 6 étapes sur 1 semaine je refais donc le périple IG pour comprendre ce qui fait que des gens de goût et de culture ont adoré ce film. Moins irrité qu'à la première vision, je reçois à 2 reprises des signaux (ultra-brefs) de plaisir à des passages inattendus (vue ma réaction en salles) : quelques secondes dans la taverne ; la projection du visage de Shosanna sur le nuage de fumée (seule véritable idée de cinéma du film). Pour le reste, je reste sur mes premières impressions.

Finies donc les joutes verbales et les concours de bites dans les vestiaires. Je n'ai sûrement pas saisi ou suis imperméable à ce qui est l'esprit de ce film. Il est vrai aussi, comme me l'a fait récemment remarquer un ami FB, que les guéguerres sont souvent provoquées par un vague sentiment d'injustice ressenti par certains envers les monstres hyper-markétés et surestimés (chaque année en a son lot). Avec ce besoin de détruire les (faux) prophètes et leurs idoles. La machine à propagande a besoin de discriminer outrageusement pour encenser et le cinéphile agacé se sent en devoir (légitime ?) de nuancer, de disséquer et aussi d'attirer le regard des hypnotisés vers ce qui lui semble négligé et pourtant souvent meilleur. Au pays de la francisque et de la légion d'honneur, il y en a aussi qui pensent que Cinéma et récompenses ne font pas bon ménage. Qui pourrait croire, même si le film est excellent (et il l'est), que The Hurt Locker est le seul film de l'année qui mérite toutes ces statuettes à la con ? Qui pourrait croire aussi que la photo d'Avatar soit la meilleure de l'année ? On pourrait d'ailleurs dans ce cas suspecter les oscars d'aimer les canulars. Qui pourrait croire enfin que Tahar Rahim est le meilleur acteur français de l'année ? Il est bien dans tout le début du film, justement quand Audiard utilise le fait qu'il ne soit pas encore un acteur. Ensuite, il n'évolue pas, garde toujours son air de poupon légèrement ahuri et n'arrive pas à incarner (au sens propre du mot) le caïd qu'il est censé être devenu. Meilleur espoir ? Putain, pourquoi pas le tableau d'honneur et les félicitations du conseil de classe aussi !

Finies les guéguerres donc mais pas les critiques, la glose, le discours, le blah blah. Le but ne serait plus de convaincre mais au moins d'être convaincu. En attendant de devenir plus sage et d'être capable d'écouter les arguments des autres sans peur de se voir retourné, contaminé, convaincu. Avec, peut-être encore, à l'esprit ces propos de Proust, trouvés en exergue dans Littérature Monstre de Pierre Jourde (p. 341) :

"Je n'admets pas qu'on juge un auteur sur son dessein et non sur son livre. Et quand je vois tel écrivain à la mode aujourd'hui entasser les volumes et s'entendre louer pour ses intentions généreuses, sa profondeur de vues, mais à chaque phrase ne pas trouver la métaphore qu'il faut, faire un tour immense mais ne jamais pouvoir sauter le fossé, je déplore qu'aujourd'hui l'intention soit ainsi tenue pour le fait."

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