lundi 15 mars 2010

Be Kind, Rewind

(Publié initialement sur mon mur FB le 15 mars 2010)

Quand on ne tient pas l'histoire du siècle, on peut toujours adopter la méthode Tarantino (avec Pulp Fiction) et complexifier artificiellement un film en foutant sans raison réelle le bordel dans sa trame narrative. C'est un peu ce qu'ont choisi de faire Nolan et Noé avec leurs Memento et Irréversible, deux des films les plus marquants de ces dix dernières années. Deux films "à rebours", à la structure étrangement proche : l'un (Memento) justifiant celle-ci par la pathologie de son personnage principal et l'autre par sa morale (rendue explicite par son titre).

A la réception, le Nolan est beaucoup plus "mind-fucking" et oblige régulièrement le spectateur à un effort intellectuel, s'il ne veut pas perdre son fil d'Ariane. Le réalisateur britannique, devenu célèbre depuis qu'il a repris la franchise Batman, travaille à lier le fond de son histoire (vengeance d'un amnésique) à sa forme dans une sorte de mise en abîme brillante. Outre la structure en "rewind", il invente cette idée géniale d'un corps-bloc-notes où les tatouages sont inversés pour pouvoir être lus face à un miroir. Un travail de virtuose qui ne permet certes pas une immersion totale du spectateur mais n'empêche pas pour autant aux personnages de prendre vie grâce au travail d'acteurs excellement dirigés.

Gaspar Noé, lui, s'ennuie moins avec l'histoire et n'innove pas sur le front narratif. Son but semble être d'aller le plus loin possible dans la représentation de la violence au cinéma et force est de reconnaître qu'il arrive - malgré des décennies sous les règnes de Romero, Craven et Cronenberg - à sortir la scène de meurtre la plus éprouvante que j'ai jamais vue. La scène de l'extincteur dans le Rectum est extraordinaire de réalisme et file vraiment la nausée. On peut reprocher certaines choses à Irréversible, mais pas de donner envie de buter tout ce qui bouge une fois le film terminé. Rien que pour cela, le film est diablement important. Bourré d'effets spéciaux invisibles, dont le but premier est de simuler des plans-séquences ou de donner l'illusion d'une caméra libre de toute contrainte, ce film souffre malheureusement d'un énorme déséquilibre entre un début atomique et une seconde moitié sans grand intérêt et à l'esthétique soap.

Je me souviens d'une interview de Verhoeven, dans laquelle il déclarait rêver de pouvoir mettre dans un de ses films hollywoodiens un plan de sexe d'homme filmé en "full frontal". Il arrive souvent aussi qu'en regardant un film, même réalisé par un grand maître, je me surprenne à penser que toute l'entreprise n'avait pour but que la réalisation de telle scène, voire de tel plan. Dans le cas de Memento et Irréversible, je ne peux m'empêcher de voir, au-delà des œuvres terminées, le détournement d'un film commercial à seule fin d'assouvir des fantasmes de cinéphiles geeks et de réaliser des cartes de visite phénoménales. Nolan savait bien qu'il jouait là son passeport pour Hollywood et a décidé de prendre la voie périlleuse de la virtuosité arty pour se distinguer du reste du troupeau. Noé, qui voulait au départ faire un film porno avec Cassel et Bellucci, s'est probablement consolé de leur refus en réalisant les scènes de meurtre et de viol les plus "rentre-dedans" de l'histoire du cinéma. Et sans cette idée d'inversion de l'histoire, Noé savait qu'il courait le risque de voir une majorité du public se barrer avant la fin.

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