jeudi 18 mars 2010

2010 : Eyes Less Shut

Quand on est adolescent au début des années 80 dans une France post-Giscard, le cinéma se fantasme parfois parfois plus qu'il ne se vit. Je n'ai jamais autant idolâtré Kubrick qu'en dévorant l'iconographie du livre de Michel Ciment et avant d'avoir vu la plupart de ses films. J'avais été exposé, très jeune, à Shining et avais entendu dire que Kubrick était le plus grand cinéaste du monde. J'étais trop jeune pour relever l'ineptie d'un classement mondial des cinéastes, mais j'avais quand même supputé que l'homme au nom de cube n'avait sûrement pas décroché cette médaille grâce à cette chose grotesque dans laquelle Nicholson baissait la tête et fronçait les sourcils pour jouer le gars perturbé psychologiquement. Posture ridicule et outrée que le Stan n'hésitera pas à recycler avec D'Onofrio dans son film sur les films sur le Vietnam.

Encore vierge donc et m'enivrant des photogrammes et des photos de tournage du livre de Ciment, je pouvais imaginer les merveilles que devaient être 2001, Les Sentiers de la gloire, Barry Lyndon et me dire que je ne serais plus le même homme une fois que mes rétines auraient été impressionnées par ces créations quasi-divines. Un âge de l'innocence où je n'avais pas encore dû endurer le kitsch de Orange mécanique et ce taedium filmae qu'est Lolita. Le dépucelage prit quelques années et il y eut aussi des moments d'extase : dans les tranchées, dans l'espace et dans l'Irlande de Thackeray.

Il y a quelques jours, je tombe par hasard sur le Stanley Kubrick d'un certain John Baxter et, contre toute attente, le même ensorcellement (sans photos cette fois) se produit. Les anecdotes sur la vie et la personnalité du New-yorkais constitueraient-elles un mythe dépassant son oeuvre ? En tout cas, je ne suis plus dans la France de Mitterand et je peux maintenant, quand le doute me saisit, filer vers ma vidéothèque et vérifier que – au hasard - Dr. Strangelove, malgré ses anecdotes de tournage, ses décors et son noir et blanc impeccable, est toujours d'un humour aussi consternant.

Un gros regret cependant m'étreint : le king of control n'a pas vécu assez longtemps pour empêcher le désastre qu'est la mastérisation DVD de Barry Lyndon. Les scènes à la chandelle sont pour l'instant condamnées à n'être jamais aussi belles qu'en photos, figées dans le Ciment. Du coup, je pourrais continuer à feuilleter le livre en me passant les musiques du film en fond sonore. Et là, il faut reconnaître que, à partir de son Odyssée de l'espace, Kubrick devient un master DJ, un as de la compile. Terrence Malick, peu inspiré avec son Pocahontas, a d'ailleurs cru qu'il suffisait de convoquer Wagner et Mozart pour s'élever au niveau du maître. Avec Full Metal Jacket, Kubrick poussera quand même le bouchon du recyclage un peu loin en « empruntant » l'utilisation qu'avait faite Schoendoerffer du Boots de Nancy Sinatra dans son Section Anderson. Mais Barry Lyndon n'est pas un film aussi fermé, formel et formol que les trois suivants et occupe toujours une bonne place dans ma playlist.

Je tourne encore une fois les feuilles du Ciment : The Killing, Spartacus, Lolita, Barry Lyndon, The Shining... Kubrick ne s'est jamais vraiment torturé pour trouver les titres de ses films et a presque toujours opté pour la concision, la simplicité ou le nom du personnage principal. Ses titres les plus originaux et mémorables, il les a empruntés à Burgess et Stephen King. Jusqu'à ses deux derniers films, où il décide finalement de passer des titres à 1 ou 2 mots à des titres énigmatiques et quasiment acronymiques : Full Metal Jacket et Eyes Wide Shut. L'hermite ferme ainsi la boucle, entamée en 1968, d'un cinéma de l'esprit plus que de la chair, avec deux titres qui renvoient immanquablement à HAL (lui-même forgé à partir de l'acronyme IBM) et à la post-humanité à laquelle ce dernier essayait d'accéder par le meurtre.

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