jeudi 25 mars 2010

Weltanschauung et happy-ending au second tour des régionales

Le week-end du 21 mars, il a voulu épater sa fille de 11 ans en lui montrant The Host de Joon-ho Bong. Comme toutes les victimes d'éclatement de la cellule familiale, il dépense une bonne part de son énergie à essayer de prouver à son enfant partagée qu'il n'est pas qu'une bête de somme et que, avant de finir comme chair à patrons, il a eu une passion dévorante dont les restes pourraient lui être profitables entre deux épisodes de Mentalist ou Dr. House.

« C'est quoi ce film ? »

« Un film de monstre. Pas un film de monstre classique, c'est pour ça que je veux te le montrer. C'est aussi un drame... familial... une comédie... et une satire politique probablement. Encore que ça, c'est moins évident. »

« Ca se passe où ? »

« En Corée. »

« C'est pour ça qu'ils ont des têtes d'Asiatiques sur la jaquette ! »

« C'est fort probable. Bon, je regarde le début avec toi. »

Il voulait juste vérifier qu'il aimait toujours le premier carnage sur la base aquatique, mais soufflé qu'il est par ce Bong, il se laisse prendre plus longtemps que prévu et se retrouve au milieu du film. Là, soudain, il réalise qu'il a oublié la fin et ne sait donc plus si la fillette va être sauvée. Il sent monter une angoisse sourde, doublée d'un léger agacement. Nouvelle confirmation que, depuis quelques mois, il supporte mal les films dont l'issue n'est pas heureuse. Il attend la fin du film pour entamer le débat avec sa fille, qui s'empresse de répondre :

« C'est nul, de toute façon, tous ces films qui finissent toujours bien. Le héros gagne, tout le monde est sauvé. Ils nous prennent pour des idiots. Celui-là, au moins, c'est différent. Même si la fin est pas si triste que ça. »

« Ca veut dire quoi un film qui se termine mal ? Un film, c'est l'expression d'une vision du monde... Mais c'est aussi un commentaire sur cette vision et sûrement que, dans ce commentaire, il doit y avoir les éléments d'une proposition sur ce que ce monde devrait être. »

« Ouaip... Chais pas... En tout cas, tout se termine pas toujours bien dans la vraie vie. »

11 ans et elle vient de l'envoyer dans les cordes de la ringardise et de la mièvrerie rampantes qui guettent le quadra qui sait que sa vie est en train de lui échapper et qui se rend compte que sa « vraie vie », c'est peut-être devenu le cinéma. Elevé au Perrault et au Grimm, et dans la croyance que les suppôts du mal sont inéluctablement châtiés par les agents du bien, il a développé sa propre Matrice avec les milliers de fictions auxquelles il s'expose depuis son plus jeune âge. Puis, devenant vieux et en passe de confondre la pilule bleue avec le comprimé Pfizer, il ne peut plus souffrir que, par exemple, Rudy Baylor et Michael Clayton perdent leurs combats contre les profiteurs de la misère humaine. Ces mêmes hydres dont il est devenu l'esclave et chez qui il émarge pour payer la pension alimentaire .

« Au fait, tu devais pas aller voter cet après-midi ? »

« M'en fous... et puis je voudrais te montrer un autre film. »

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